Blaise Pascal

Direction : Romain Lizé Direction éditoriale : David Gabillet Direction de collection : Jean de Saint-Cheron Édition : Claire Stacino Conception graphique de la couverture : Diane Danis Conception et réalisation graphique de l’intérieur : Gauthier Delauné Iconographie : Isabelle Mascaras Relecture : Pascaline Bourget Fabrication : Thierry Dubus, Julia Mirenda © Magnificat S.A.S., 2024, pour l’ensemble de l’ouvrage. 57, rue Gaston Tessier, 75019 Paris. www.magnificat.fr Tous droits réservés pour tous pays. Première édition : octobre 2024 Dépôt légal : octobre 2024 ISBN : 978-2-3840-4030-8 Code MDS : MT40308

Paris • New York • Oxford • Madrid Textes présentés par Jean de Saint-Cheron PASCAL Œuvres de Philippe de CHAMPAIGNE BLAISE

4 Avertissement de Pascal .................................................................p. 7 XVIIe, le grand style ............................................................................p. 9 Blaise Pascal (1623-1662) ............................................................... p. 11 Philippe de Champaigne (1602-1674) ...........................................p. 17 PARTIE 1 : LA VÉRITÉ ............................................................................p. 21 La violence contre la vérité L’obscurité de ce monde Qui démêlera cet embrouillement ? PARTIE 2 : LA QUÊTE DU BONHEUR ...........................................p. 29 Ce que révèle notre faim Nous cherchons le bonheur où il ne faut pas L’échec de la philosophie PARTIE 3 : MISÈRE ET MORT D’UN ROI DÉPOSSÉDÉ...........p. 37 Qu’est-ce que l’homme ? Voilà l’état où les hommes sont aujourd’hui Vanité Grand et misérable La grandeur de l’homme PARTIE 4 : IL Y A UN RÉPARATEUR DE NOTRE MISÈRE ...p. 49 Écoutez Dieu Le péché originel Qu’il y a un réparateur Dieu par Jésus-Christ SOMMAIRE

5 PARTIE 5 : LE DIVERTISSEMENT....................................................p. 57 Divertissement Un faux bonheur Qu’il faut s’arracher au divertissement PARTIE 6 : DIEU CACHÉ .....................................................................p. 67 Deus absconditus Les « preuves » de Dieu et l’Écriture La vraie religion Lettre pour porter à rechercher Dieu PARTIE 7 : L’ORDRE DE L’AMOUR ................................................p. 87 Les corps, les esprits et l’ordre de l’amour La religion chrétienne rend l’homme digne d’amour PARTIE 8 : CONVERSION .................................................................p. 95 Le cœur et la raison La prière, corps et âme Faire tomber les obstacles Le Mémorial PARTIE 9 : JÉSUS-CHRIST...............................................................p. 103 Le mystère de Jésus CONCLUSION ..................................................................................... p. 113 Notes de fin d’ouvrage ................................................................. p. 114 Chronologie .................................................................................... p. 116 Références bibliographiques ....................................................... p. 118 Crédits iconographiques .............................................................. p. 118

7 « AVERTISSEMENT DE PASCAL Il est injuste qu’on s’attache à moi quoiqu’on le fasse avec plaisir et volontairement. Je tromperais ceux à qui j’en ferais naître le désir, car je ne suis la fin de personne et n’ai pas de quoi les satisfaire. Ne suis je pas prêt à mourir ? et ainsi l’objet de leur attachement mourra. Donc comme je serais coupable de faire croire une fausseté, quoique je la persuadasse doucement, et qu’on la crût avec plaisir et qu’en cela on me fît plaisir ; de même je suis coupable si je me fais aimer. Et si j’attire les gens à s’attacher à moi, je dois avertir ceux qui seraient prêts à consentir au mensonge, qu’ils ne le doivent pas croire, quelque avantage qui m’en revînt ; et de même qu’ils ne doivent pas s’attacher à moi, car il faut qu’ils passent leur vie et leurs soins à plaire à Dieu ou à le chercher. » Blaise Pascal, Pensées, Sel. 151 Le Christ en croix Philippe de Champaigne

9 XVIIe, LE GRAND STYLE Pascal est un mathématicien génial, un inventeur, un polémiste, un philosophe sans doute, et même un théologien. Mais il est aussi, et pour nous qui le lisons à quatre siècles de distance, peut-être avant tout, un écrivain. Ce sont ses métaphores, ses ellipses, sa fulgurance verbale, bien davantage que ses découvertes scientifiques ou que la doctrine qu’il a forgée pour parler des choses de Dieu, qui continuent de le faire vivre dans les conversations de notre temps : nous connaissons tous des fragments, ou des fragments de fragments, qui parlent d’un roseau pensant, du cœur et de la raison, du nez de Cléopâtre ou du silence éternel de ces espaces infinis. Ces formules qui ont traversé les âges sont toutes tirées de l’œuvre majeure de Blaise Pascal, les Pensées, recueil posthume de notes trouvées chez lui, jetées sur des papiers épars, certains classés d’autres non, dont nous ne savons pas tout à fait l’usage ni la postérité auxquels les destinait leur auteur. La première édition qu’en firent en 1670 les gens de Port-Royal, qui avaient tâché de leur conférer un ordre valable, n’hésitant pas pour cela à toucher

10 au texte – coupes et ajouts –, parut sous le titre Pensées de M. Pascal sur la religion et sur quelques autres sujets, qui ont été trouvées après sa mort parmy ses papiers. Quoi que l’on puisse penser de cette édition, il apparaissait incontestable aux premiers lecteurs de Pascal, ceux qui l’avaient connu, que le principal sujet des Pensées était la religion. Cela, quatre cents ans plus tard, personne ne le conteste. Le grand style de Pascal était avant tout au service de la religion chrétienne, dont il voulait montrer qu’elle n’était « point contraire à la raison », « vénérable », et « aimable2 ». En cela, Philippe de Champaigne est davantage que le contemporain de Pascal, et leurs parcours ne sont pas sans ressemblances. Peintre de Marie de Médicis, du cardinal de Richelieu, puis de Port-Royal, Champaigne est l’une des plus importantes figures du classicisme français. Derrière une certaine austérité, sa virtuosité dans le trait, son art de la couleur et des paysages en font un styliste unique, dont la poésie céleste et incarnée parle de Dieu. « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants3. » Le Dieu fait homme. Jésus-Christ. Jean de Saint-Cheron

BLAISE PASCAL (1623-1662)

12 Il y a peu de vrais chrétiens. Je dis même pour la foi. Il y en a bien qui croient mais par superstition. Il y en a bien qui ne croient pas, mais par libertinage ; peu sont entre deux4. » Pascal sait que la « guerre qui est entre les sens et la raison » fait rage en ce monde. Et sa vie fut un effort pour ne jamais trahir la raison, tout en la dépassant par le cœur. Mais il faut comprendre ce que cela veut dire. Pascal, qui a écrit que « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » n’est ni superstitieux ni libertin, contrairement à Dom Juan se sentant « un cœur à aimer toute la terre ». La superstition, c’est la caricature de la foi, ainsi « soutenir la piété jusqu’à la superstition c’est la détruire ». Mais le libertinage est une caricature de la liberté, et une autre trahison de la pensée – la soumission de la raison aux passions est indigne de l’homme : « Les philosophes qui ont dompté leurs passions, quelle matière l’a pu faire ? » Pascal vit le jour à Clermont le 19 juin 1623, dans une famille de la haute bourgeoisie. Sa mère ne put jamais s’extasier devant le génie de son fils, qui n’avait encore que trois ans lorsqu’elle mourut. Étienne Pascal, conseiller du roi et magistrat, éleva seul ses trois enfants, Gilberte, Blaise et Jacqueline. Étienne, quoiqu’il n’en fît pas son métier, avait une forte appétence pour les sciences, et se montra particulièrement doué en mathématiques. À l’âge de 12 ans, Blaise, à qui son père demandait de perfectionner son latin et sa grammaire, suppliait donc celui-ci de lui apprendre les «

PHILIPPE DE CHAMPAIGNE (1602-1674)

18 Philippe de Champaigne, né le 26 mai 1602 à Bruxelles, dans les Pays-Bas espagnols, est d’abord marqué par Rubens, peintre baroque par excellence. Mais il refuse de rejoindre son atelier. Arrivé à Paris à l’âge de 19 ans, il y fera la rencontre déterminante de Nicolas Poussin, figure du classicisme. Si le style de Champaigne correspond d’abord à ce qu’on appellera le « baroque tempéré », c’est bien vers le classicisme que son style propre le portera de plus en plus. Et c’est là qu’il excellera absolument. Son art est admiré par Marie de Médicis, qui le fait entrer au service de la famille royale à partir de 1628. Il peint des fresques au Palais du Luxembourg, où Rubens avait travaillé avant lui. Dès la fin des années 1620, il est l’un des peintres les plus renommés du royaume, et l’un des seuls à pouvoir faire le portrait de Richelieu en habit de cardinal. Il le représentera à onze reprises – on lui doit les portraits les plus célèbres du ministre d’État, ainsi que le triple portrait de 1642. On lui doit aussi plusieurs portraits de Louis XIII, dont celui de 1639, où le souverain pose dans une armure noire. Après la mort de son fils Claude, en 1642, Philippe de Champaigne se rapproche du milieu de Port-Royal. Il peint plusieurs membres éminents de la congrégation, ainsi que de nombreux sujets religieux, tirés de la Bible ou de la vie des saints. À partir de 1654, il travaille à la décoration du palais

19 PhILIPPE dE ChAMPAIGnE des Tuileries sous la direction de Charles Le Brun. Il est nommé professeur en 1655. En 1656, sa fille devient religieuse dans la congrégation de Port-Royal. Alors qu’elle est frappée de paralysie à partir de 1660, elle en est miraculeusement guérie deux ans plus tard au couvent de Port-Royal des Champs. Son père en tirera une toile d’action de grâce, marquante par son austérité, mais aussi par la paix religieuse qui en émane, l’Ex-voto de 1662. C’est l’année de la mort de Blaise Pascal. Philippe de Champaigne meurt à Paris le 12 août 1674, âgé de 72 ans. Dans leur registre des morts, les religieuses de PortRoyal le mentionnent comme « bon peintre et bon chrétien ». À quatre siècles de distance, on continue de regarder ce peintre au classicisme singulier, avec ses portraits de puissants et ses Christs immortels, comme l’un des plus grands stylistes de l’histoire de la peinture française.

01 LA VÉRITÉ Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité, et ne servent qu’à la relever davantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuvent rien pour arrêter la violence, et ne font que l’irriter encore plus. Les Provinciales, xiie lettre Saint Jean Baptiste Philippe de Champaigne

« Ce n’est pas ici le pays de la vérité », note Pascal dans un fragment des Pensées. L’une de ses formules sur le relativisme des lois humaines est devenue proverbiale : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Mais les « vérités » dont parle Pascal dans ces deux affirmations ne sont pas du même ordre : la première est la vérité suprême. La seconde est une vérité décrétée telle par l’homme. Or il est fondamental, lorsque l’on se lance dans la lecture de l’œuvre géniale et foisonnante de l’auteur des Pensées, de ne pas confondre les ordres. Pascal sait qu’il y a des vérités, c’est-à-dire des réalités connues ou dépeintes par les hommes, qui diffèrent de la vérité entre toutes, parfaite et éternelle, qu’est la vérité de Dieu, à laquelle le Christ est venu rendre témoignage. Et s’il faut bien que nous nous raccrochions aux petites vérités pour vivre en société, cette vérité-là est la seule qui vaille vraiment la peine d’être cherchée. Mais c’est celle que nous peinons le plus à reconnaître, dans l’obscurité de ce monde. Dans la finale d’une des lettres provinciales, écrite dans le contexte de la querelle théologique qui oppose les gens de Port-Royal aux Pères jésuites, Pascal fait un éloge de la vérité, que nulle violence ne peut affaiblir. Dans les fragments des Pensées ici reproduits, dont l’ordre ne suit pas celui des éditions scientifiques10, Pascal parle de l’incapacité de l’homme à voir clair ici-bas. Mais il invite à continuer de chercher. Jean de Saint-Cheron

23 LA VÉRITÉ LA VIOLENCE CONTRE LA VÉRITÉ Je ne vous dirai rien cependant sur les Avertissements pleins de faussetés scandaleuses par où vous finissez chaque imposture* : je repartirai à tout cela dans la Lettre où j’espère montrer la source de vos calomnies. Je vous plains, mes Pères, d’avoir recours à de tels remèdes. Les injures que vous me dites n’éclairciront pas nos différends, et les menaces que vous me faites en tant de façons ne m’empêcheront pas de me défendre. Vous croyez avoir la force et l’impunité, mais je crois avoir la vérité et l’innocence. C’est une étrange et longue guerre que celle où la violence essaie d’opprimer la vérité. Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité, et ne servent qu’à la relever davantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuvent rien pour arrêter la violence, et ne font que l’irriter encore plus. Quand la force combat la force, la plus puissante détruit * Les attaques des Jésuites, et en particulier leurs réponses aux lettres de Louis de Montalte (pseudonyme de Pascal auteur des Provinciales), étaient assorties d’un « Avertissement aux Jansénistes ».

« La vérité subsiste éternellement, et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu’elle est éternelle et puissante comme Dieu même. » 24 la moindre : quand l’on oppose les discours aux discours, ceux qui sont véritables et convaincants confondent et dissipent ceux qui n’ont que la vanité et le mensonge : mais la violence et la vérité ne peuvent rien l’une sur l’autre. Qu’on ne prétende pas de là néanmoins que les choses soient égales : car il y a cette extrême différence, que la violence n’a qu’un cours borné par l’ordre de Dieu, qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu’elle attaque : au lieu que la vérité subsiste éternellement, et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu’elle est éternelle et puissante comme Dieu même. Les Provinciales, xiie lettre

25 LA VÉRITÉ L’OBSCURITÉ DE CE MONDE Ce n’est point ici le pays de la vérité. Elle erre inconnue parmi les hommes. Dieu l’a couverte d’un voile qui la laisse méconnaître à ceux qui n’entendent pas sa voix. Le lieu est ouvert au blasphème et même sur des vérités au moins bien apparentes. Si l’on publie les vérités de l’Évangile, on en publie de contraires, et on obscurcit les questions en sorte que le peuple ne peut discerner. Et on demande : « Qu’avez-vous qui vous fasse plutôt croire que les autres ? Quel signe faites-vous ? Vous n’avez que des paroles et nous aussi. » Pensées, Sel. 425

26 QUI DÉMÊLERA CET EMBROUILLEMENT ? Voilà la guerre ouverte entre les hommes, où il faut que chacun prenne parti, et se range nécessairement ou au dogmatisme ou au pyrrhonisme*, car qui pensera demeurer neutre sera pyrrhonien par excellence. Cette neutralité est l’essence de la cabale. Qui n’est pas contre eux est excellemment pour eux. Ils ne sont pas pour eux-mêmes, ils sont neutres, indifférents, suspendus à tout sans s’excepter. Que fera donc l’homme en cet état ? Doutera-t-il de tout ? Doutera-t-il s’il veille, si on le pince, si on le brûle ? Douterat-il s’il doute ? Doutera-t-il s’il est ? On n’en peut venir là, et je mets en fait qu’il n’y a jamais eu de pyrrhonien effectif parfait. La nature soutient la raison impuissante et l’empêche d’extravaguer jusqu’à ce point. Dira-t-il donc au contraire qu’il possède certainement la vérité, lui qui, si peu qu’on le pousse, ne peut en montrer aucun titre et est forcé de lâcher prise ? * Les sceptiques.

27 LA VÉRITÉ Quelle chimère est-ce donc que l’homme, quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige, juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d’incertitude et d’erreur, gloire et rebut de l’univers ! Qui démêlera cet embrouillement ? Pensées, Sel. 164

06 DIEU CACHÉ Il est demeuré caché sous le voile de la nature qui nous le couvre jusques à l’Incarnation ; et quand il a fallu qu’il ait paru, il s’est encore plus caché en se couvrant de l’humanité. Lettre à Charlotte de Roannez Les disciples d’Emmaüs Philippe de Champaigne

Pourquoi Dieu est-il caché ? Et caché à tel point que non seulement il n’est pas unanimement reconnu par l’humanité, mais que les croyants eux-mêmes peinent à le reconnaître. Une réponse classique affirme que c’est une peine liée au péché de l’homme, qui a voulu fuir Dieu. Plus subtilement, Pascal nous entraîne à discerner la place et l’importance de la liberté dans la doctrine du « Dieu caché », formule prise au prophète Isaïe. Toute histoire d’amour étant une histoire de liberté, Dieu se laisse trouver par ceux qui le cherchent de tout leur cœur. Si Pascal, donc, résume ainsi l’« Objection des athées » : « mais nous n’avons nulle lumière », il note dans un autre fragment cette réflexion fondamentale : « il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir et assez d’obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire. » L’exemple de la présence réelle de Dieu dans un morceau de pain est particulièrement éloquent pour dire le Dieu caché. C’est le thème de la lettre de Pascal à Charlotte de Roannez, dont beaucoup de commentateurs ont voulu faire une amoureuse cachée du philosophe, ce qui n’est absolument pas attesté. Mais il lui parle somptueusement de la foi eucharistique, ce très éminent exemple d’un Dieu fait homme, qui a voulu se cacher aux yeux de chair et se montrer aux yeux du cœur. La présence de Dieu dans les pauvres, également, bouleversa Pascal. J. de S.-C.

69 dIEu CAChÉ DEUS ABSCONDITUS Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n’y aurait point de mérite à le croire ; et, s’il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache ordinairement, et se découvre rarement à ceux qu’il veut engager dans son service. Cet étrange secret, dans lequel Dieu s’est retiré, impénétrable à la vue des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude loin de la vue des hommes. Il est demeuré caché sous le voile de la nature qui nous le couvre jusques à l’Incarnation ; et quand il a fallu qu’il ait paru, il s’est encore plus caché en se couvrant de l’humanité. Il était bien plus reconnaissable quand il était invisible, que non pas quand il s’est rendu visible. Et enfin quand il a voulu accomplir la promesse qu’il fit à ses Apôtres de demeurer avec les hommes jusques à son dernier avènement, il a choisi d’y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les espèces de l’Eucharistie. C’est ce sacrement que saint Jean appelle dans l’Apocalypse une manne cachée ; et je crois qu’Isaïe le voyait en cet état, lorsqu’il dit en esprit de prophétie : Véritablement tu es un Dieu caché. C’est là le dernier

70 secret où il peut être. Le voile de la nature qui couvre Dieu a été pénétré par plusieurs infidèles, qui, comme dit saint Paul, ont reconnu un Dieu invisible par la nature visible. Les chrétiens hérétiques l’ont connu à travers son humanité et adorent JésusChrist Dieu et homme. Mais de le reconnaître sous des espèces de pain, c’est le propre des seuls catholiques il n’y a que nous que Dieu éclaire jusque-là. On peut ajouter à ces considérations le secret de l’Esprit de Dieu caché encore dans l’Écriture. Car il y a deux sens parfaits, le littéral et le mystique ; et les Juifs s’arrêtant à l’un ne pensent pas seulement qu’il y en ait un autre, et ne songent pas à le chercher ; de même que les impies, voyant les effets naturels, les attribuent à la nature, sans penser qu’il y en ait un autre auteur ; et comme les Juifs, voyant un homme parfait en Jésus-Christ, n’ont pas pensé à y chercher une autre nature : Nous n’avons pas pensé que ce fut lui, dit encore Isaïe ; et de même enfin que les hérétiques, voyant les apparences parfaites du pain, ne pensent pas à y chercher une autre substance. Toutes choses couvrent quelque mystère ; toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu. Les chrétiens doivent le reconnaître en tout. Les afflictions temporelles couvrent les biens éternels où elles conduisent. Les joies temporelles couvrent les maux éternels qu’elles causent. Prions Dieu de nous le faire reconnaître et servir en tout. Et rendons-lui des

71 dIEu CAChÉ grâces infinies de ce que s’étant caché en toutes choses pour les autres, il s’est découvert en toutes choses et de tant de manières pour nous… Lettre à Charlotte de Roannez, fin d’octobre 1656

116 26 mai 1602 : Naissance de Philippe de Champaigne à Bruxelles, aux Pays-Bas espagnols. 1621 : Influencé par Rubens dans ses premières années, Philippe de Champaigne s’installe à Paris, où il rencontrera Nicolas Poussin l’année suivante. 19 juin 1623 : Naissance de Blaise Pascal à Clermont, en Auvergne. 29 juin 1626 : Antoinette Pascal (née Begon) meurt, laissant trois enfants en bas âge dont Blaise, âgé de 3 ans. 1628 : Admiré par Marie de Médicis, Philippe de Champaigne entre au service de la famille royale. 1633-1642 : Philippe de Champaigne est l’un des deux seuls peintres du royaume autorisé à peindre le cardinal de Richelieu. Il fera son portrait à onze reprises. 1635 : Blaise Pascal, âgé de 12 ans, découvre les bases des mathématiques et de la géométrie, en grande partie par sa seule intelligence. 1640 : Essai pour les coniques, de Blaise Pascal. Vers 1640 : Le Voile de sainte Véronique, de Philippe de Champaigne 1642 : Mort de Claude de Champaigne, fils unique de Philippe. 1642-1645 : Invention de la pascaline, première machine à calculer de l’histoire. 1645 : Saint Augustin, par Philippe de Champaigne. 1646 : « Première conversion » de Blaise Pascal, à Rouen, au contact de deux messieurs proches de Port-Royal. CHRONOLOGIE BLAISE PASCAL ET PHILIPPE DE CHAMPAIGNE

117 1647 : Expériences nouvelles touchant le vide, de Blaise Pascal. 1647-1654 : Période dite mondaine de Blaise Pascal, à Paris. 1652-1653 : Philippe de Champaigne fait les portraits de Charles II d’Angleterre et du cardinal Mazarin. 1654 : Philippe de Champaigne peint Le Christ mort. 23 novembre 1654 : « Nuit de feu » de Pascal. 1655 : Ecce Homo, de Philippe de Champaigne. 24 mars 1656 : « Miracle de la Sainte-Épine », ou guérison miraculeuse de Marguerite Périer, nièce de Pascal. L’épisode marque fortement le milieu de Port-Royal dans le contexte de la querelle avec les Jésuites. 1656-1657 : Publication des Provinciales de Pascal sous le pseudonyme de Louis de Montalte. Pascal y conteste la théologie de la grâce des Jésuites, ainsi que leur morale laxiste. 1658-1659 : Écriture et publication par Pascal sous le pseudonyme d’Amos Dettonville (anagramme de Louis de Montalte) des lettres scientifiques constituant le Traité de la roulette. 1661 : Création des carrosses à cinq sols, première compagnie de transports en commun à Paris. 1662 : Portrait d’Agnès Arnauld et Catherine de Sainte-Suzanne, dit Ex-voto de 1662, par Philippe de Champaigne. 19 août 1662 : Mort de Pascal à Paris, à l’âge de 39 ans, alors qu’il manifeste un vif souci du service et de l’amour des pauvres. Ses dernières paroles furent : « Que Dieu ne m’abandonne jamais ! » 1667 : Portrait de Robert Arnaud d’Andilly, solitaire de Port-Royal, par Philippe de Champaigne. 1670 : Première édition des Pensées, dans la version dite de Port-Royal. 12 août 1674 : Mort de Philippe de Champaigne à Paris, à l’âge de 72 ans.

118 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Les textes des Pensées de Pascal sont extraits de l’édition de Philippe Sellier (éd. Le Livre de poche). Vous trouverez également des extraits des ouvrages suivants : • Les Provinciales, éd. de Michel Le Guern, Folio classique. • Le Mémorial, manuscrit autographe de Blaise Pascal, novembre 1654 (ressource de la Bibliothèque nationale de France). • « Lettre à Mlle de Roannez » (pages 67 et 69 à 71), extrait des Œuvres complètes, Pascal, coll. La Pléiade, éd. Gallimard. • Gilberte Périer, Vie de Monsieur Pascal, éd. L’Herne. CRÉDITS ICONOGRAPHIQUES Couverture, détails pages 4, 5, 8, 9, 10, 12, 14, 16 et 18 : Le Sommeil d’Élie (1650), Philippe de Champaigne (1602-1674), huile sur toile, 182 × 280 cm, musée de Tessé, Le Mans. © akg-images / Erich Lessing. Page 6 : Le Christ en croix (1674), Philippe de Champaigne (1602-1674), huile sur toile, 228 × 153 cm, musée du Louvre, Paris. © GP-RMN (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle. Page 11, détails pages 13, 15 et 118 : Portrait de Blaise Pascal, Gérard Edelinck (1640-1707), eau forte, 28,5 × 20,2 cm, musée de Port-Royal des Champs, Magny-lesHameaux. © GP-RMN (musée de Port-Royal des Champs) / Gérard Blot. Page 17, détails pages 19 et 118 : Autoportrait (1640), Philippe de Champaigne (1602-1674), huile sur toile, 62 × 50,8 cm, Schorr Collection, Royaume-Uni. © The Schorr Collection / Bridgeman Images. Page 20, détails pages 23 à 27 : Saint Jean Baptiste (v. 1656), Philippe de Champaigne (1602-1674), huile sur toile, 131 × 98 cm, musée de Grenoble. © Lylho / Bridgeman Images. Page 28, détails pages 31 à 35 : L’Assomption de la Vierge (v. 1656), Philippe de Champaigne (1602-1674), huile sur toile, diamètre 193 cm, musée des Beaux-Arts, Marseille. © Bridgeman Images. Page 36, détails pages 39 à 47 : Vanité, Philippe de Champaigne (1602-1674), huile sur bois, 28,4 × 37,4 cm, musée de Tessé, Le Mans. © G. Dagli Orti / NPL – DeA Picture Library / Bridgeman Images. Page 48, détails pages 51 à 55 : Le Christ aux outrages, Philippe de Champaigne (1602-1674), huile sur toile, 186 × 126 cm, musée de Port-Royal des Champs, Magny-les-Hameaux. © GP-RMN (musée de Port-Royal des Champs) / Michel Urtado. Page 56, détails pages 59 à 65 : Portraits d’hommes (détail, 1656), Philippe de Champaigne (1602-1674), huile sur toile, 88 × 117 cm, musée du Louvre, Paris. © GP-RMN (musée du Louvre) / Franck Raux. Page 66, détails pages 69 à 85 : Les Disciples d’Emmaüs, Philippe de Champaigne (16021674), huile sur toile, 123 × 169 cm, musée des Beaux-Arts, Angers. © GP-RMN / Benoît Touchard / Mathieu Rabeau.

119 Page 86, détails pages 89 à 93 : Marie Madeleine (1648), Philippe de Champaigne (1602-1674), huile sur toile, 116 × 89 cm, Museum of Fine Arts, Houston, Texas, USA. © Museum Purchase with funds provided by / Agnes Cullen Arnold Endowment Fund / Bridgeman Images. Pages 94 et 115, détails pages 97 à 101 : Saint Augustin (détail, v. 1645), Philippe de Champaigne (1602-1674), huile sur toile, 79 × 63 cm, Los Angeles County Museum of Art, Cal., USA. © Image Domaine public – www.lacma.org. Page 102, détails pages 105 à 111 : Le Christ dans le jardin des Oliviers, Philippe de Champaigne (1602-1674), huile sur toile, 72 × 100 cm, musée des Beaux-Arts, Rennes. © Bridgeman Images. Page 112 : Le Voile de sainte Véronique (v. 1640), Philippe de Champaigne (16021674), huile sur toile, 64,5 × 49 cm, Royal Pavilion, Brighton & Hove Museums, Royaume-Uni. © Bridgeman Images.

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