La divine bibliothèque

La divine bibliothèque 18 nous le disait Flannery O’Connor, se déroule sur un territoire qui est en grande partie « le territoire de l’Ennemi ». Une lutte qui se traduit soit par un triomphe, soit par une défaite, soit, finalement, par un conflit déchirant avec une infinité de zones d’ombre. Nier ces ombres, c’est comme nier l’art. D’ailleurs, c’est aussi un blasphème sordide. Le grand Leonardo Castellani s’est rebellé contre les catho- liques qui exigent une littérature faite de solutions claires, de triomphes et d’apothéoses, sans ténèbres ni conflits. Ces catho- liques qui veulent attribuer au Christ « le rôle de conquérant, d’un Attila égalitaire et dévastateur ». Mais le Christ a déjà goûté plusieurs fois à l’échec. N’a-t-il pas échoué avec le jeune homme riche ? N’a-t-il pas échoué avec les neuf lépreux qui ne sont pas revenus le remercier après leur guérison ? N’a-t-il pas échoué avec Pilate ou Judas ? À Gethsémani, malgré la sueur de son sang, ne savait-il pas que son sacrifice serait rejeté par beaucoup ? Le Christ savait que la vie de l’homme est un drame. Il savait que, dans la vie, il y a des jeunes hommes riches, des lépreux ingrats, des gens conciliants ou lâches, des traîtres et des apostats. Et il les a tous aimés, en sachant que beaucoup vacilleraient et hésiteraient, jusqu’à même refuser sa Rédemption. Et si le Christ les a aimés, com- ment une littérature qui se dit catholique peut-elle les ignorer ? Certes, écrire la vie des saints peut être une excellente source d’inspiration littéraire (et plusieurs magnifiques hagiographies sont répertoriées dans ce volume). Mais écrire la vie de ceux qui ne sont pas héroïques ou parfaits l’est aussi (ce que nous ne sommes pas !). Parce que ces vies troubles et dramatiques peuvent nous aider à comprendre l’imperfection de la nature humaine et la valeur vertigineuse de la Rédemption. Parce qu’en

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