21 ENRACINEMENT Les premières racines de Marie Noël sont celles de ces mondes intérieurs dans lesquels tout est lié, où rien n’existe en dehors du reste comme une chose inerte, mais où ce qui peine à exister vaut autant que ces réalités sans mystère qui s’imposent souvent. Marie Noël est une poétesse du lien, du lien blessé, du lien déchiré, espéré, mais vivifiant, toujours, à la manière d’une racine qu’on a bêchée, mais qui continue de donner sa nourriture aux surgeons fragiles et prometteurs. Ces racines-là la ramèneront toujours à ses rêveries d’enfance alimentées par les expériences les plus banales : le vol d’un oiseau, le chant d’un feu, autant d’expériences natives qui seront autant de gardiennes de la vie intérieure de Marie Noël. C’est bien grâce à cette conscience vive du don que sont les racines que la fauvette d’Auxerre a chanté sa terre et sa vieille cité comme personne d’autre ne l’avait fait avant elle. Sous sa plume, la cathédrale, les ruelles médiévales, les jardins clos et la vigne ouvrent des mondes intérieurs qui rejoignent étrangement toutes les vies ; et ceux qui n’ont jamais foulé les vieux pavés d’Auxerre se découvrent mystérieusement acclimatés à ces lieux inconnus, par une poésie de l’ordinaire. Arnaud Montoux PETIT-JOUR Je pars aujourd’hui derrière moi pour aller à la découverte. Je voudrais, si je peux, retrouver ma naissance. Naître est une grande aventure dans l’obscurité. Et peutêtre naître et mourir sont la même, aux deux extrêmes bords de la vie claire, que deux crépuscules, celui de l’aube, celui du soir, amènent de l’ombre éternelle et y ramènent. Naître – ni mourir – ne se fait d’un seul coup. Naître commence dans la Nuit où j’essaie en vain de ressaisir sous le sommeil la trace inaperçue de mon premier rêve, quand je n’avais pas d’yeux encore pour entrevoir en dormant ses flottantes figures. Mais naître continue durant de lents mois, de longs ans, dans la pénombre où s’entr’ouvrent l’une après l’autre de petites portes claires par lesquelles entre le monde pour réveiller l’âme qui dort et lui apporter jour après jour, chose après chose, de quoi faire un homme ou une femme de la terre, qui connaissent comme il faut les chemins du pays. Et, peut-être, il y a des êtres en qui cette âme mystérieuse demeure plus longtemps endormie et où les portes de la clarté terrestre ne s’ouvrent jamais toutes grandes : telle créature
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