NOEL_OSBERT

MARIE NOËL Œuvres d’Alphonse Osbert

Paris • New York • Oxford • Madrid Textes présentés par Arnaud Montoux MARIE NOËL Œuvres d’Alphonse Osbert Direction : Romain Lizé Direction éditoriale : David Gabillet Directeur de collection : Jean de Saint-Cheron Édition : Claire Stacino et Gabrielle Charaudeau assistée de Lou Trullard Conception graphique : Mathilde Corre Iconographie : Isabelle Mascaras Relecture : Pascaline Bourget Fabrication : Thierry Dubus, Sonia Romeo © Magnificat S.A.S., 2025, pour l’ensemble de l’ouvrage. 57, rue Gaston Tessier, 75019 Paris. www.magnificat.fr Tous droits réservés pour tous pays. Première édition : octobre 2025 Dépôt légal : octobre 2025 ISBN : 978-2-3840-4040-7 Code MDS : MT40407 Note de l’éditeur : Afin de respecter toute la richesse de l’œuvre de Marie Noël, les libertés que la poétesse a pu prendre avec l’orthographe et la syntaxe ont été conservées.

5 4 Préface................................................................................................p. 6 Marie Noël (1883-1967)....................................................................p. 8 Alphonse Osbert (1857-1939)........................................................ p. 14 PARTIE 1 : ENRACINEMENT..............................................................p. 19 Petit-Jour La racine du feu Les ailes de la Cathédrale PARTIE 2 : BRISURE.............................................................................p. 29 N’importe où Je m’en vais de vous Malgré l’air qui l’entend mourir PARTIE 3 : ABSENCE............................................................................p. 39 J’aimerais mieux être bruyère « Apprendre à vivre » Le pot de beurre n’est pas fini… Où était Dieu ? PARTIE 4 : ATTENTE.............................................................................p. 51 Dialogue Moissons et miettes L’attente d’un regard Le sens de l’infini Un petit oiseau gris Tout lui manque PARTIE 5 : COMBAT............................................................................p. 63 Lucidité versus Amour Le combat pour la reconnaissance Bataille Verbe sans paroles Se laisser juger et justifier PARTIE 6 : GRANDEUR DE L’HOMME........................................p. 73 Prière à mon corps Mais qu’espérez-vous ? Le combat de la Grâce elle-même Communion PARTIE 7 : CLAIRVOYANCE.............................................................p. 83 La grâce des dettes La tentation des Anges Il a fait des chemins pour tous À Complies PARTIE 8 : SAINTETÉ..........................................................................p. 93 Dieu descend Être sainte… Le matin éternel réveillera mon âme Un ange aux ailes fermées Visage PARTIE 9 : DIEU, SANS SES LIEUX..............................................p. 105 Il avait soufflé trop fort Berceuse de la Mère-Dieu Dieu pour seul espace Ma fontaine Le maître est là Credo Notes de fin d’ouvrage..................................................................p. 114 Chronologie.................................................................................... p. 115 Références bibliographiques.......................................................p. 118 Crédits iconographiques. ............................................................ p. 120 SOMMAIRE

7 6 PRÉFACE Marie Noël et Alphonse Osbert sont deux artistes nés dans les dernières décennies d’un siècle qui voyait surgir, hébété, une sorte de nouvelle Renaissance. Alphonse Osbert étant de vingt-six ans l’aîné de Marie Noël, il naquit avec les prémices de l’impressionnisme ; Marie quant à elle, vit le jour alors que ce même mouvement commençait déjà à s’essouffler, appelant d’autres révolutions d’avant-gardes qui n’allaient pas tarder à surgir, toutes plus vigoureuses les unes que les autres. Faire le choix de situer la poétesse d’Auxerre et le peintre parisien dans ce flux des avant-gardes c’est sans doute les réunir, au-delà de leur adhésion à une foi commune, dans une quête commune qui n’était pas seulement la leur : celle de la lumière. Si l’impressionnisme n’est pas la naissance de cette quête, ses promoteurs lui font franchir l’une des étapes les plus décisives de l’histoire en peignant en bleu ce pan de tissu blanc, parce que la lumière le fait apparaître en bleu. Cette remise en cause des conventions réalistes allait avoir des répercussions considérables sur le rapport au réel, et chacun à leur manière, Marie Noël et Alphonse Osbert allaient en être les héritiers et les continuateurs. Le réel d’une existence, d’un amour, d’une foi et d’un élan vers Dieu devait-il nécessairement passer par une recomposition forcée du réel affirmant dans tous les domaines que « ce tissu étant blanc, on doit le peindre en blanc »? En ayant appris que l’on pouvait faire vibrer le blanc dans une touche de bleu, ils allaient, dans leurs mots et leurs coups de pinceau, ouvrir l’accès à la lumière dans des ombres qu’il ne fallait plus seulement chasser. Dans le siècle suivant, traumatisé par la violence des guerres et des dictatures qui démolirent en quelques décennies le grand idéal d’un progrès promettant l’avènement d’un bonheur universel, la voix de Marie Noël montait, fragile comme le chant d’une fauvette depuis les ombres épaisses d’un jardin clos dans lequel rôdait le grand malheur de la désillusion. Depuis cette ombre dont il avait fait sa demeure pour en tirer la lumière, ce chant rappelait que la grandeur de l’homme est dans sa soif, et que la foi chrétienne n’avait jamais été une fuite de l’ombre, des peurs ou de la mort, mais un affrontement permanent, une lutte au corps à corps avec ces réalités qui assèchent la vie, mais ne peuvent éteindre la soif dans laquelle elle se régénère. C’est ce chant de la soif qui faisait vibrer les formes et les couleurs dans lesquelles Alphonse Osbert tentait de rendre ce monde à lui-même, et c’est ce même chant qui est aujourd’hui susceptible de réveiller en nous la dignité et l’estime des déserts. Arnaud Montoux

9 8 MARIE NOËL (1883-1967) Aux âmes troublées, leur sœur À L’OMBRE DE LA CATHÉDRALE Marie Mélanie Rouget est née le 16 février 1883 à Auxerre, cité bourguignonne qui sera en quelque sorte la chair géographique de son existence jusqu’à sa mort le 23 décembre 1967. Ses parents, Louis Rouget et Marie-Émilie-Louise Barat étaient cousins germains, issus d’une même lignée de compagnons de rivière, employés sur le coche d’eau depuis le XVIIIe siècle. Marie grandit dans une atmosphère protectrice, cultivée et lettrée. Sa mère est une femme gaie, ouverte, ancrée dans une foi simple et vraie. Louis Rouget, quant à lui, est professeur agrégé de philosophie au collège Paul Bert d’Auxerre ; cet homme fin, artiste, cousu de devoirs envers sa famille de commerçants, et en perpétuel questionnement, ne cessera jamais d’interroger les Évangiles et les écrits scolastiques, comme les autres sources classiques. Marie a appris de ce père à chercher la Vérité jusqu’à la douleur du doute. Cette enfant, d’une sensibilité extrême renforcée par un isolement dû à une santé fragile, va emprunter très tôt cette voie ardue : une parole d’Évangile, le bannissement d’un chien, une gamme mineure au piano, tout la traverse et la concerne, tout la renvoie aux versants d’injustice du monde. La poétesse auxerroise dira toute sa vie qu’elle a été le champ de bataille

11 10 involontaire d’une guerre menée, en elle, entre la loi du plus fort et celle de l’Amour. L’enfance de Marie est marquée par les liturgies de la cathédrale, sa voisine, et par des chansons populaires dont les origines se perdent dans la nuit des temps. Cet alliage va produire en elle un éveil poétique précoce et durable. UNE VIE EN QUESTION Alors qu’elle a quinze ans, Marie s’interroge sur une vocation religieuse et, dans la cathédrale, elle demande au Christ « trois choses folles : beaucoup souffrir, être poète1, être sainte ». Cet appel intérieur au don total d’elle-même ne cessera de parcourir son existence, s’entrecroisant avec son art du verbe, et l’interrogeant jusqu’à la fin sur le sens vocationnel de son art. La perception de cet art comme une vocation reçue ouvre tout son être à une vie étrangère produisant au creux de son œuvre une perle baroque : une intense réflexion sur l’essence de la vie comme Mystère de Relations – Mystère d’une vie distendue s’ouvrant sur celle de Dieu. À la fin de l’année 1904, le 27 décembre, elle retrouve son petit frère de douze ans mort dans son lit ; elle cherchera toute sa vie à traduire dans des mots et des silences sa colère contre la Mort, ainsi que le cri déchirant de sa mère. Dans ces mêmes jours autour de Noël, elle aurait vu partir un homme qu’elle aimait ; cet absent, dont le souvenir est enfoui dans la pudeur sentimentale de Marie, apparaît dans toute son œuvre comme le révélateur d’une profonde et fidèle attente de l’Amour. Amour et Mort resteront à jamais le moteur de ses combats, de sa passion pour l’écriture, de ses explorations intérieures. Les traversées « infernales » qui jalonneront sa vie feront dire à l’abbé Mugnier, avec lequel elle entretiendra une longue correspondance : « Vous avez fait votre petit Dante… » « BEAUCOUP SOUFFRIR, ÊTRE POÈTE… » Entre 1903 et 1905, elle écrit son tout premier recueil de poésies, Les Chansons de Cendrillon, alors qu’elle ne connaît encore rien des règles de la prosodie. C’est son parrain, Raphaël Périé, agrégé de Lettres, inspecteur d’académie et grand ami de son père, qui les lui enseignera bientôt, en 1908, convaincu par le talent « sauvage » se dégageant de ses premières œuvres. C’est dans ce moment de construction de son art que Marie choisit son nom de poétesse « Marie Noël » ; ce double nom a été forgé dans le feu de l’émerveillement devant le mystère de la Nativité et dans celui de la mort rôdant aux alentours de la Crèche, et il apparaît pour la première fois en 1910 dans MARIE NOËL

15 14 ALPHONSE OSBERT (1857-1939) Des ombres en transparence Alphonse Osbert naît à Paris en 1857 dans une famille bourgeoise2. Quand il a vingt ans, il entre à l’École des beaux-arts, au sein de l’atelier d’Henri Lehmann, héritier d’Ingres et défenseur de « la ligne » en peinture. C’est dans cet atelier qu’il va faire la connaissance de Georges Seurat, d’Alexandre Séon, d’Edmond Aman-Jean et d’Ernest Laurent. En 1880 et 1881, travaillant dans le sillon de Bonnat et de Cormon, il expose quelques-unes de ses œuvres au Salon officiel. En 1883, il entreprend un voyage en Espagne pour y étudier les maîtres comme Ribera, Le Greco, Zurbarán, Murillo et Vélasquez qu’il présente comme le révélateur et l’aiguilleur de sa vision. À partir de 1888, il s’associe au mouvement symboliste qui lui offrira la trame de fond de son œuvre jusqu’à sa mort en 1939. En 1889, il participe pour la première fois au Salon des artistes indépendants, et en 1891, à la demande de Maurice Denis, il expose avec les Nabis réunissant alors Bonnard, Gausson, Ranson, Verkade, Denis, Ibels, Cavallo-Péduzzi, Sérusier et Vuillard. En 1893, il exposait en même temps des toiles d’inspiration encore impressionniste à la galerie Le Barc de Boutteville, et au Salon de Rose-Croix des œuvres bien plus marquées par le symbolisme. De cette époque datent ses liens avec

17 16 le mysticisme de Joséphin Péladan et l’ésotérisme des rosicruciens qui dénotent une inquiétude sincère de trouver les voies de la régénération d’un art qu’il voit s’essouffler et dont il cherchera les sources tout au long de sa vie. Le symbolisme auquel on associe Osbert n’est pas aisément définissable : dans ce que certains historiens de l’art n’hésitent pas à appeler une « nébuleuse », on trouve des noms aussi divers que Verlaine, Rimbaud, Mallarmé ou Huysmans du côté de la littérature, et Odilon Redon, Gustave Moreau et bien évidemment Puvis de Chavannes chez les peintres. C’est Jean Moréas qui est à l’origine du mot même de « symbolisme » apparu dans le supplément littéraire du Figaro du 18 septembre 1886 pour désigner une expression renouvelée des émotions et des idées à l’aide d’un usage très libre de la langue dans toutes ses composantes – les mots, les sons, les rythmes, les styles – de façon à donner accès aux idées et émotions en question sans les nommer directement. Le travail d’Osbert, très classique dans ses prémices, trouva donc dans cet univers symboliste un bercail suffisamment large pour y développer une quête profonde de la pureté et de l’éternité, à travers des variations qu’on qualifie souvent de « décoratives », mais qui n’ont pas oublié sa fascination pour les grandes obscurités de Vélasquez. Son attachement à la ALPHONSE OSBERT nature qu’il ne cessait de parcourir lui apprit le goût et l’art des transparences qui ne sont pas limpidité : il s’agissait pour lui de découvrir le moyen de traduire la lumière passant à travers le filtre des feuillages et scintillant sur le sol. La lumière est chez lui, plus que chez bien d’autres, un élément de transmutation du réel, même si celle-ci le conduit à penser cette lumière toujours au-delà du monde, au lieu de la puiser dans les profondeurs du réel, comme chercheront à le faire les générations suivantes ; les avant-gardes dont il sera témoin à la fin de sa vie éveilleront sa curiosité, mais il ne les comprendra pas. Ce que la mise en contact des œuvres de Marie Noël et d’Alphonse Osbert révèle, c’est une sorte de communication des ombres et des lumières par leurs profondeurs : là où certains éclairages crus tuent la lumière, et où certains noirs dissipent la richesse de l’obscurité, il faut du génie pour révéler la lumière par l’obscur et l’opaque dans la transparence ; or, c’est sans doute ce génie-là que les deux artistes ont reçu en héritage sous la forme d’un désir sans cesse réinvesti. À la violence d’une Marie Noël cherchant à faire briller l’ineffable innocence de Dieu à travers le drame de l’existence humaine répond, chez Alphonse Osbert, la douceur d’une ombre du monde transparaissant toujours sous le bord des lumières divines.

01 ENRACINEMENT Je pars aujourd’hui derrière moi pour aller à la découverte. Je voudrais, si je peux, retrouver ma naissance. Petit-Jour Orcines Alphonse Osbert

21 ENRACINEMENT Les premières racines de Marie Noël sont celles de ces mondes intérieurs dans lesquels tout est lié, où rien n’existe en dehors du reste comme une chose inerte, mais où ce qui peine à exister vaut autant que ces réalités sans mystère qui s’imposent souvent. Marie Noël est une poétesse du lien, du lien blessé, du lien déchiré, espéré, mais vivifiant, toujours, à la manière d’une racine qu’on a bêchée, mais qui continue de donner sa nourriture aux surgeons fragiles et prometteurs. Ces racines-là la ramèneront toujours à ses rêveries d’enfance alimentées par les expériences les plus banales : le vol d’un oiseau, le chant d’un feu, autant d’expériences natives qui seront autant de gardiennes de la vie intérieure de Marie Noël. C’est bien grâce à cette conscience vive du don que sont les racines que la fauvette d’Auxerre a chanté sa terre et sa vieille cité comme personne d’autre ne l’avait fait avant elle. Sous sa plume, la cathédrale, les ruelles médiévales, les jardins clos et la vigne ouvrent des mondes intérieurs qui rejoignent étrangement toutes les vies ; et ceux qui n’ont jamais foulé les vieux pavés d’Auxerre se découvrent mystérieusement acclimatés à ces lieux inconnus, par une poésie de l’ordinaire. Arnaud Montoux PETIT-JOUR Je pars aujourd’hui derrière moi pour aller à la découverte. Je voudrais, si je peux, retrouver ma naissance. Naître est une grande aventure dans l’obscurité. Et peutêtre naître et mourir sont la même, aux deux extrêmes bords de la vie claire, que deux crépuscules, celui de l’aube, celui du soir, amènent de l’ombre éternelle et y ramènent. Naître – ni mourir – ne se fait d’un seul coup. Naître commence dans la Nuit où j’essaie en vain de ressaisir sous le sommeil la trace inaperçue de mon premier rêve, quand je n’avais pas d’yeux encore pour entrevoir en dormant ses flottantes figures. Mais naître continue durant de lents mois, de longs ans, dans la pénombre où s’entr’ouvrent l’une après l’autre de petites portes claires par lesquelles entre le monde pour réveiller l’âme qui dort et lui apporter jour après jour, chose après chose, de quoi faire un homme ou une femme de la terre, qui connaissent comme il faut les chemins du pays. Et, peut-être, il y a des êtres en qui cette âme mystérieuse demeure plus longtemps endormie et où les portes de la clarté terrestre ne s’ouvrent jamais toutes grandes : telle créature

116 1934 : Le 24 janvier, Alphonse Osbert est nommé chevalier de la Légion d’honneur. 1939 : Le 11 août, Alphonse Osbert s’éteint dans son atelier du 9 rue Alain-Chartier. 1945 : Marie Noël fait paraître une première édition des Contes, chez Stock. 1947 : Marie Noël publie Chants et Psaumes d’automne, chez Stock. 1951 : Marie Noël fait paraître PetitJour. Souvenirs d’enfance, chez Stock. 1955 : Marie Noël publie Le Jugement de Don Juan. Miracle, chez Stock. 1957 : Raymond Escholier, l’ami et biographe de Marie Noël, publie La neige qui brûle, qui reste l’ouvrage biographique de référence. 1959 : Première édition des Notes intimes, suivies de souvenirs sur l’abbé Brémond, de Marie Noël, chez Stock. Le Mystère de la nuit Alphonse Osbert 1961 : Marie Noël fait paraître les Chants d’arrière-saison, chez Stock. 1962 : Marie Noël reçoit le Grand Prix de poésie de l’Académie française. 1967 : Parution du Cru d’Auxerre, chez Stock. 1967 : Le 23 décembre, Marie Noël s’éteint, à Auxerre. 1972 : Édition posthume du dernier recueil de Marie Noël : Chants des Quatre-Temps. 2017 : Le 23 décembre, ouverture, à la cathédrale SaintÉtienne d’Auxerre, du procès en béatification de Marie Mélanie Rouget, Marie Noël en poésie.

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