D’autre part, la radicalité – les racines – ne s’enfonce dans l’obscurité de la terre qu’afin que nous portions du fruit dans la lumière du jour. La croix de Jésus est l’Arbre de Vie. Elle est pour notre béatitude, non pour un quelconque dolorisme. La légèreté d’un Mozart ou d’un Haydn, cette légèreté qui jaillit soudain du ré mineur et qu’on peut nommer « grâce », n’est pas une fuite, mais un fruit de la croix. Elle correspond à une anticipation du ciel où nous chanterons sans fin les miséricordes du Seigneur (Misericordias Domini in aeternum cantabo). Bien entendu, lire la Bible comme on lit le journal, c’est ne pas la lire du tout. Si sa parole est celle de Dieu, c’est-à-dire celle de mon Créateur, Sauveur et Seigneur, je ne peux pas me placer devant elle comme quelqu’un qui assiste à un spectacle ou suit un reportage. Elle m’appelle. Elle me pénètre comme un glaive, surtout quand j’en arrive à la fine pointe, la plus déchirante : la Passion du Verbe fait chair. Je ne la lis que dans la mesure où je la laisse lire dans mon âme. Je ne la reçois que dans la mesure où elle m’éprouve. Entendant Les Sept Dernières Paroles du Christ en croix, je peux passer un moment agréable, émouvant, mais qui me laisse foncièrement indemne, tel un complément moral à mon confort physique. Je suis dans un fauteuil, j’écoute de la musique, je vois des tableaux. Mais la vérité, plus mystique et plus concrète, c’est que je suis au pied de la croix. Les gémissements des suppliciés sont à ma porte, et combien de personnes sont actuellement défigurées par la souffrance et le péché ! Si je ne me rends pas compte de cela, j’aurais beau admirer et me sentir chrétien, je suis pareil aux passants qui l’injurient en hochant la tête (Mc 15, 29). C’est en cela que Kierkegaard a raison. Les paroles du Seigneur n’attendent pas notre admiration ou notre compréhension, mais notre confession et notre conversion. Nous sommes des protagonistes de cette histoire (Il s’est donné lui-même à cause de nos péchés – Ga 1, 4). Nous n’avons pas d’autres possibilités que de nous assimiler à l’un des personnages de la scène : le mauvais, ou le bon brigand (spécialement chez Luc). Ou bien les scribes qui se gaussent : Qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui ! ou bien l’un des hommes qui confesse avec le centurion : Vraiment celui-ci 5
RkJQdWJsaXNoZXIy NzMzNzY=