Contempler-lHistoire-sainte

218 219 et de tristesse, qui fait l’un des charmes du panneau. Quand l’un fixe le ciel, l’autre se cache la tête dans les mains, le troisième a l’air en colère, tandis que de l’autre côté, on met la main en visière sur le front pour mieux voir, on désigne le ciel ou on appuie la tête sur sa main pour manifester sa peine. Les têtes rondes et expressives, les plis un peu gras, la gesticulation des bras potelés, les pieds chaussés de sandales qui dépassent des manteaux, confèrent au groupe une naïveté irrésistible. Les cieux ouverts Cette même simplicité, déjà sensible dans la bordure régulière aux feuilles d’acanthe, règne dans la partie supérieure, elle-même articulée en deux : deux anges, qui doivent se demander comment les Apôtres peuvent passer, une fois encore, à côté de l’essentiel, leur enjoignent de ne plus rester là à regarder vers le ciel (Ac 1, 10), et accompagnent du geste l’élévation du Christ, qui tend la main vers son Père entre deux groupes de bienheureux, ou de prophètes, les mains ouvertes en signe d’adoration et de joie. La manière dont Jésus est saisi par la main du Père correspond bien aux tournures passives (« était emporté, fut enlevé ») employées par les Évangiles. La nuée n’est pas une des moindres réussites de cet ivoire. Une première ligne bosselée en forme de nuage indique la séparation entre la terre et le ciel, puis des cirrus buissonnants encadrent une sorte de canal creusé dans les cieux, par où monte le Christ. L’aspiration de l’humanité à ce que Dieu écoute son peuple et vienne sur terre – Seigneur, incline les cieux et descends (Ps 143, 5) –, son désir contraire, dont la tour de Babel est l’expression, de monter jusqu’aux cieux (cf. Gn 11, 4), trouvent leur réponse à l’Ascension. Jésus ressuscité avait annoncé à Marie Madeleine : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu (Jn 20, 17). Le Christ ne regagne pas un empyrée où il se reposerait seul de ses peines : lui qui est la Voie parce qu’il nous ouvre le chemin, il retourne vers le cœur du Père qui nous attend. ◆ Les spécialistes distinguent deux moments dans la production messine de manuscrits, la première école, au milieu du ixe siècle, connue pour le Sacramentaire de Drogon, conservé à la Bibliothèque nationale de France, et la deuxième, à la fin du xe siècle, d’où proviendrait cette Ascension. Par sa simplicité, elle rappelle cependant davantage des ouvrages antérieurs. Plus que d’autres, on a envie de la rattacher à un tempérament artistique individuel. Il se sépara d’eux (Lc 24, 51) Contrairement aux Ascensions traditionnelles de l’art occidental, grandes compositions où le Christ lévite sur de volumineux nuages, notre artisan a mis en scène une sorte d’exfiltration : la main démesurée du Père saisit le Fils et le hisse au-dessus des nuées, aux encouragements de la cour céleste. Cet épisode n’obéit pas, au xe siècle, à des codes fixes. Les orfèvres, sculpteurs, enlumineurs, utilisent la latitude offerte par les textes : là où l’Évangile de saint Luc indique que Jésus est en train de bénir les Apôtres au moment où il est enlevé au ciel (cf. Lc 25, 50-52), les Actes des Apôtres précisent que tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux (Ac 1, 9). Marc se contente d’une phrase : Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu (Mc 16, 19). Certaines représentations montrent Jésus en train de marcher dans le ciel ; certaines ne laissent voir que ses pieds, d’autres le font porter par des anges, d’autres encore le placent dans une mandorle. Notre ivoirier anonyme se montre à vrai dire assez infidèle à l’histoire en représentant douze Apôtres, alors que Judas n’a pas encore été remplacé. Pour le reste, il a au contraire été attentif. La moitié inférieure de la tablette est consacrée aux Apôtres, réunis autour de Marie, comme ils le seront au Cénacle. Elle est surélevée, ce qui manifeste son éminence mais aussi le fait qu’elle sera à son tour élevée au ciel. Placée au centre, parfaitement à l’aplomb du Christ, très droite, cette figure exprime le rôle de la Mère de Dieu, « colonne immaculée de notre foi » (Litanies de l’Immaculée Conception), « tour d’ivoire » (Litanies de la Sainte Vierge) et la force qui est la sienne dans l’Église naissante. Autour d’elle, peu d’assurance ! L’artiste a réalisé en sculptant les disciples un véritable répertoire des émotions de surprise l’ascension

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