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16 JESUS DANS L ART ET LA LITTERATURE 5 Date probable. Les historiens situent la mort de Jésus entre 26 et 36. 6 La Pâque (sans « s » final) est la fête juive qui commémore la constitution par Dieu du peuple de l’Alliance lors de sa libération de l’esclavage en Égypte et de son passage de la mer Rouge vers la Terre promise. Pour les chrétiens, la Pâque préfigure la fête de Pâques (avec un « s » final) où Jésus ressuscité est passé de la mort à la vie, ouvrant à toute l’humanité la voie de la Vie éternelle. peuvent lui opposer et tirant habilement profit de la complexité de la situation politique, ils vont solliciter la haute juridiction de l’occupant romain pour sévir contre lui en le présentant comme fauteur de troubles, conspirateur potentiel contre l’autorité de l’empereur de Rome. Jésus est jugé rapidement. Le procurateur Ponce Pilate, seul à disposer du droit de vie et de mort, confirme la condamnation à mort de celui qu’on lui désigne ironiquement comme prétendant être « le roi des Juifs ». À l’époque, esclaves fugitifs, soldats déserteurs, criminels non citoyens romains sont souvent condamnés à être fixés sur une croix à la vue de tous pour y mourir lentement d’asphyxie dans les plus indicibles souffrances. Ce pilori exemplaire, d’une cruauté extrême, est alors un spectacle familier même pour les Juifs. Plus d’un siècle auparavant, le grand prêtre d’Israël Alexandre Jannée y avait eu lui-même recours pour réprimer la grande révolte des pharisiens opposés à ce qu’il prenne le titre de roi de Judée, faisant mettre en croix plusieurs centaines de Juifs, ses coreligionnaires. Condamné à mort, Jésus est renié et abandonné par ses disciples, et particulièrement par les apôtres qui partageaient sa vie depuis trois ans. Terrorisés par la perspective de subir le même sort que leur Seigneur, ils sont désespérés par l’échec patent de la promesse de royaume à laquelle pourtant ils ont cru au point de tout laisser pour le suivre. Seuls sa mère, Marie, deux de ses tantes, Marie de Cléophas et Marie Salomé, sa meilleure amie, Marie-Madeleine, et celui que l’Évangile selon saint Jean nomme « le disciple que Jésus aimait » l’accompagnent jusqu’au lieu du supplice, une colline nommée Golgotha (« lieu du crâne », ou « calvaire »), située bien en évidence à l’entrée de Jérusalem. Là, vers midi, la veille de la fête de la Pâque de l’an 335, Jésus est cloué nu au bois de la croix. À 15 heures, repu de souffrances et d’humiliations, il rend l’esprit. Le soir même, sa dépouille mortelle est mise au tombeau, non sans avoir été embaumée et couverte d’un linceul selon la coutume des Juifs observée à l’époque. Ayant réussi à fuir à temps la vindicte populaire, les disciples de Jésus n’ont désormais qu’une idée en tête : se faire oublier en attendant que l’affaire se tasse. Déjà, beaucoup sont repartis vers la Galilée. Seuls se terrent encore à Jérusalem les adjoints institués du crucifié, susceptibles d’être poursuivis comme ses complices notoires. Selon les récits évangéliques, à l’aube du dimanche suivant la fête de la Pâque6, le tombeau de Jésus est retrouvé ouvert et vide par trois des femmes qui l’ont accompagné jusqu’à la mort. « Pâque » veut dire « passage » : très vite, la mort de Jésus est comprise par ses disciples comme un passage. Le tombeau est trouvé vide : ce vide ne constitue-t-il pas un espace ouvert vers une vie nouvelle, au-delà de la mort ? Le disciple que Jésus aimait, demeuré fidèle jusqu’au bout, est confronté au tombeau vide, où il n’y avait rien à voir : Il vit et il crut affirme paradoxalement l’Évangile selon saint Jean (Jn 20,8). Près du tombeau se tient aussi Marie-Madeleine. Elle croit voir un jardinier, mais quand celui-ci parle, elle reconnaît la voix de Jésus l’appelant par son prénom : « Marie ». Elle se jette à ses pieds et cherche à l’étreindre : « Noli me tangere », « Ne me touche pas » oppose Jésus à son élan vers lui : l’absence de son cadavre est ouverte sur l’infini et exprime sa présence corporelle bien réelle mais sous une autre forme, avec une autre nature, intouchable, insaisissable, inconcevable ; et pourtant bien la sienne propre, que le cœur de Marie-Madeleine a reconnue comme la présence réelle, personnelle, de l’être aimé. Le soir même et les jours suivants, d’autres disciples affirment eux aussi que Jésus « re-vivant », leur est apparu, leur a parlé et a même mangé avec eux. Mais ils témoignent aussi que le rencontrant, aucun ne l’a reconnu d’emblée. LA MORT N’EST QU’UN PASSAGE Et voici que cinquante jours après la mort de Jésus, le jour de la fête de la Pentecôte, ses apôtres ayant repris de l’assurance osent sortir au grand jour pour haranguer la foule en annonçant : « Israélites écoutez, ce Jésus que vous avez fait mourir en le clouant à une croix, Dieu l’a ressuscité, nous en sommes les témoins » (Ac 2,22-32). Ils sont bientôt arrêtés et traduits devant les mêmes autorités juives qui ont condamné Jésus à mort. Mais ils n’ont plus peur de rien. Relâchés, ils ne cesseront plus d’annoncer la résurrection de Jésus en dépit des persécutions dont ils seront l’objet. Entre cinq et trente ans 17 PROLOGUE 7 André Paul, Croire aujourd’hui dans la résurrection, Paris, Salvator, 2016. Le présent prologue est aussi redevable au livre du même auteur, Jésus Christ, la rupture. Essai sur la naissance du christianisme, Paris, Bayard, 2001. 8 Ce mot ne renvoie pas seulement à une réalité inaccessible à la connaissance humaine, mais aussi aux réalités infinies qui sont l’essentiel de l’être humain, ce vers quoi il tend, ce à quoi il est ordonné, sa raison d’être. Toute personne humaine est donc ouverte aux mystères et est elle-même un mystère. plus tard, tous mourront suppliciés sans avoir jamais varié dans leur témoignage. Ainsi, la vérité – « à croire » – de la résurrection de Jésus apparaît comme acquise dès l’origine de la prédication chrétienne. Vingt ans après (vers 55), l’apôtre Paul – un chef pharisien converti – écrit aux chrétiens de Corinthe, déjà nombreux : « Je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu : que le Christ est mort et qu’il est ressuscité le troisième jour » (cf. 1 Co 15,3-4). Et il ajoute : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi est vaine » (1 Co 15,14). Fondamentalement, l’enseignement de Jésus sur le sens de la vie humaine n’est intelligible que dans la perspective d’une mort qui n’est qu’un passage vers une vie retrouvée, jaillissante à profusion dans un espace infini. Selon Jésus, chaque homme, avec son corps et tout ce qui constitue l’identité propre de sa personne, est promis, après sa mort, à des conditions de vie et d’existence infiniment augmentées, sous des formes nouvelles, inconcevables parce que divines. Pour Jésus, la mort, c’est le baptême suprême, le passage vers une renaissance. L’existence terrestre, l’enseignement et la passion de Jésus sont des données que l’historien peut prétendre parvenir à restituer en grande partie, avec plus ou moins de justesse, certes. La Résurrection, elle, ne relève pas de l’histoire, qu’elle soit scientifique ou légendaire : elle relève de la vérité de la foi, laquelle est un acte subjectif d’adhésion. «Et la foi ne serait pas la foi si l’on parvenait à “prouver” qu’elle dit juste et non qu’elle “voit” vrai. Car la foi a des yeux avant d’avoir des mots, et ses mots émanent des yeux7. » La résurrection de Jésus, et partant celle de tout être humain, voilà le défi inépuisable qui ne cesse d’interpeller quand est posée la question : «Mais qui donc était cet homme ? » Les assertions factuelles des versions définitives des quatre Évangiles tels qu’ils sont parvenus jusqu’à nous proviennent le plus souvent de rédactions primitives moins élaborées, aujourd’hui perdues. À condition que ces assertions soient corroborées par des recherches sur leur contexte historique, et que les caractéristiques littéraires des récits qui les reprennent soient correctement prises en compte, les récits évangéliques peuvent constituer des sources relativement fiables pour l’historien qui, comme nous ici, voudrait tenter de reconstituer non pas « la » vie de Jésus, mais plus humblement « une vie » de Jésus plausible. LA RAISON D’ÊTRE DE CHACUN D’ENTRE NOUS Les Évangiles ne sont donc pas des œuvres d’historiens au sens moderne du terme. Cependant, par bien des aspects, ils peuvent être apparentés à des vitæ classiques, des « biographies » selon la conception courante qu’on en avait dans l’Antiquité. Différence essentielle, toutefois : en prenant le calame pour écrire, les auteurs des ultimes versions des Évangiles ont eu à dessein d’en faire bien plus que des « biographies ». Le dessein premier des évangélistes était de révéler aux êtres humains de tous les temps et de tous les lieux l’objectif idéal de vie auquel chacun, souvent sans le savoir et parfois sans le vouloir, ne cesse d’aspirer. Un objectif qui a pour nom « béatitude », c’est-à-dire « vie de bonheur pour l’éternité ». À cette fin, leurs auteurs ont structuré les Évangiles non d’abord pour raconter la vie d’un homme célèbre, mais pour délivrer une pédagogie dramatique de la raison d’être du genre humain. Il s’agissait de susciter en chaque lecteur un dialogue intime entre, d’une part, l’« existence » soumise à tous ses aléas et à laquelle la mort mettra fin et, d’autre part, la «Vie », révélée par Jésus-Christ et en Jésus-Christ dans tout le potentiel de ses perspectives éternelles. Ainsi, les Évangiles prétendent-ils offrir à tout homme le pouvoir de s’ouvrir à la dimension infinie de son propre destin. « Voici l’homme ! » avait lancé Ponce Pilate en désignant Jésus à la foule, en tant que condamné à mort. « Voici l’homme ! » clament plastiquement dans ce livre les plus grands génies artistiques de l’humanité. La plupart étaient des croyants, aussi nous invitent-ils non seulement à admirer leur vision propre de l’homme exceptionnel que fut Jésus, mais encore à entrer à leur suite dans la contemplation desmystères8 de celui qui est à jamais, pour les chrétiens, le Ressuscité, premier né à la vie éternelle d’unemultitude de frères et de sœurs.

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