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14 JESUS DANS L ART ET LA LITTERATURE charisme qui dépassait l’humain mais qui en même temps savait toucher l’intime des cœurs. Après trois années de prédication fructueuse, Jésus quitte la Galilée et ses alentours pour gagner la Judée. Il connaît la Judée et Jérusalem, sa capitale religieuse, avec son Temple et ses pèlerinages. Il y a de la famille et des amis, particulièrement Lazare dont le récit évangélique rapporte qu’il le ressuscita. De Galilée, des incursions régulières l’ont mené vers cette province désormais directement gouvernée par Rome. Deux pouvoirs – administratif et religieux – s’y exercent en deux capitales distinctes, respectivement Césarée et Jérusalem. Le gouverneur romain, dit «procurateur », ou «préfet », est, depuis 26, Ponce Pilate. Il réside à Césarée, cité nouvelle qu’Hérode le Grand avait fait bâtir sur la Méditerranée pour défier le port du Pirée. S’y trouvent l’ensemble des services, militaires et administratifs, culturels et bien sûr ludiques. Jérusalem, avec son Temple, est quant à elle la ville du grand prêtre et du corps sacerdotal, ainsi que du sanhédrin, l’instance juive suprême des études officielles des Écritures et des débats sur la Loi, bref, le siège centralisé des rouages institués qui assurent le fonctionnement du système social et religieux juif que plus tard les chrétiens désigneront sous le nom de « judaïsme ». Jérusalem est aussi le point de convergence des Juifs affluant de toute la Palestine et de la diaspora lors des grandes fêtes – lesquelles prennent parfois un tournant houleux. En Judée, les conflits ne manquent pas, et ils sont le plus souvent durement réprimés. L’équilibre des deux pouvoirs ne va pas de soi, mais il est fermement maintenu. JÉSUS EST-IL « LE MESSIE » ? C’est dans ce climat complexe que Jésus se présente en Judée, accompagné de ses apôtres. Il est précédé d’une solide réputation de leader à grand succès. L’annonce de la venue du royaume des cieux est toujours la pointe de son enseignement. Elle n’est pas neutre à l’égard des deux autorités coexistantes. Chez les dirigeants juifs principalement – l’autorité romaine n’intervenant qu’en cas de troubles graves –, la suspicion va évoluer en opposition puis en hostilité. Il faut dire que la doctrine morale que préconise Jésus, dans le prolongement même des textes prophétiques de l’Écriture, tire des leçons positives du fait que la juridiction politique de la terre nationale se trouve sous domination étrangère. Une telle situation a valeur de parabole. Le message novateur de Jésus s’accommode de la distinction des rôles entre Dieu d’une part, et César de l’autre, avec leurs droits respectifs. Le message de Jésus est universaliste, dans la mesure où il s’adresse à chaque conscience, à commencer, bien sûr, par celle de chacun des membres du peuple juif, mais sans exclusive ni même privilège. Ainsi Jésus est-il, de fait, un concurrent sérieux des pharisiens, influents promoteurs d’une doctrine élaborée pour le peuple juif considéré comme une entité sainte et souveraine. Pour ces pharisiens, l’interprétation des Écritures, prérogative traditionnelle des prêtres de Jérusalem, doit rayonner partout, jusqu’au domicile de tout sujet de la Loi mosaïque. L’acte nécessaire de sanctification devient possible loin du Temple et sans les prêtres, chaque table familiale purifiée dans les règles ayant une fonction analogue à celle de l’autel des sacrifices. En nombre de ses aspects, la Loi «nouvelle et éternelle » que propose Jésus recouvre cet idéal. Mais elle le dépasse, ouverte qu’elle est à tous les hommes, où qu’ils soient et quels qu’ils soient ; et elle l’élève à l’infini en lui donnant pour critère non pas des attitudes extérieures souvent empreintes d’hypocrisie, mais la disposition à « aimer en actes et en vérité » (1 Jn 3,18). Un autre facteur joue contre Jésus, c’est la confirmation et, bien plus, la qualification du crédit dont il jouit auprès des foules. Celles-ci inclinent à reconnaître en lui le Messie, le descendant du roi David qui va libérer Israël de l’occupation païenne, selon l’espérance de beaucoup. D’après les récits évangéliques, ce titre de Messie ou celui de « fils de David » sont clamés à plusieurs reprises en présence de Jésus ou à son propos. Cette renommée donne lieu à des manifestations d’enthousiasme à l’occasion des grandes fêtes religieuses, à Jérusalem et à proximité, mais aussi à des controverses parfois vigoureuses. Au sein de la société juive sous occupation romaine, l’attente du Messie est le plus souvent imprécise, hésitante et timide. Autour de Jésus, elle prend une forme résolue, pleine et dynamique. Le peuple édifié par Jésus se trouve de plus en plus gagné par l’idée, et même par la conviction 15 PROLOGUE que sa personne réunit l’ensemble des vertus dites «messianiques ». En grec, «messie », c’est-à-dire « consacré par l’onction divine », se dit khristos, « Christ », et « messianique », khristianos – ce terme signifiera bientôt « chrétien ». La foule des hommes et des femmes qui acclament ainsi Jésus n’est-elle pas déjà, en puissance, la communauté « chrétienne » ? Sauf dans le secret d’un entretien particulier, Jésus évite néanmoins de déclarer qu’il est le Messie, terme qui signifierait trop restrictivement «messie d’Israël ». Son attitude autant que ses formules, dans ses prières et plus encore dans ses impénétrables expériences mystiques, commencent de faire percevoir que tout se joue pour lui dans le caractère tout à fait unique de sa relation filiale à Dieu. « Notre Père » : ainsi débute la prière que Jésus enseigne à ses disciples. Ces deux mots affectueux adressés à Dieu ont transformé l’humanité. Que Dieu soit un Père pour tous, le peuple juif l’avait entrevu depuis longtemps : souvent exigeant et redoutable (Dt 7,21), Dieu n’est-il pas aussi lent à la colère et plein d’amour (Ex 34,6) ? Mais les « fils d’Israël » s’appropriaient jalousement la tendresse de Dieu, et ils auraient craint d’abaisser le Tout-Puissant en s’adressant à lui avec la familiarité confiante de l’enfant qui sait pour l’avoir éprouvé que son père n’est qu’amour. Jésus, lui, appelle Dieu «Père », Abba en araméen. Revendiquant d’être proche de Dieu Père au point de ne faire qu’un avec lui (Jn 10,30), s’affirmant ainsi Fils unique engendré du Père (cf. Jn 1,18), Jésus invite tous les hommes et toutes les femmes de tous les temps à se reconnaître ses frères et ses sœurs afin que par lui, avec lui et en lui, ils puissent en vérité s’adresser à Dieu en l’appelant « Notre Père ». À cet effet, les trois Évangiles selon saint Mathieu, saint Marc et saint Luc, ainsi qu’une lettre de saint Paul rapportent que la veille de sa mort, Jésus réunit ses disciples pour prendre avec eux un dernier repas, dénommé la Cène. Au cours de celui-ci, il leur offre de devenir en quelque sorte membres de son corps. Prenant le pain, il le partage et le leur distribue en disant : « Ceci est mon corps qui va être livré pour vous » (cf. Lc 22,19). Et, prenant la coupe de vin, il la leur partage en disant : « Ceci est mon sang qui va être versé pour la multitude » (1 Co 11, 23-25). Puis, selon le quatrième Évangile, à la fin du repas, Jésus leur confie son testament : « Mes petits enfants, je vous donne un commandement neuf : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Celui-là seul qui m’aime, c’est celui qui demeure fidèle à ce commandement. Or, celui qui m’aime est aimé par mon Père, et nous viendrons en lui, et en lui nous ferons notre demeure. » (Jn 13,33-34 ; 14,15-23) De l’accomplissement du Notre Père et de la mise en pratique du commandement neuf est appelée à surgir une communauté de frères et de sœurs, l’« assemblée » (en grec ekklêsia, «Église ») des «fils de Dieu », reconnus tels non par leur génération humaine, ni par leur appartenance à une ethnie ou à une religion, mais parce que véritablement nés de Dieu par Jésus, avec lui et en lui. Cette grâce d’une nouvelle et éternelle filiation divine pour tous les êtres humains s’adressait d’abord et de soi aux Juifs, les héritiers de la promesse primordiale faite à Abraham. Accepteraient-ils de constituer le noyau originel de ce peuple naissant, l’authentique peuple de Dieu désormais ? Et reconnaîtraient-ils en Jésus le prophète des temps nouveaux, désigné directement par Dieu comme son Fils unique, venu dans l’histoire apporter la grâce du salut à la multitude des hommes, sans distinction ni de sexe, ni d’origine, ni de race, ni de statut social, ni encore de capacités et facultés personnelles ? Or, voici que l’appel de Jésus va être reçu par les autorités du peuple juif comme un défi, le don gratuit comme une provocation. La grâce qui entend s’offrir comme la ratification la plus authentique et la plus espérée de l’élection divine revendiquée par Israël va être comprise comme une tentative de dépossession de l’héritage déjà reçu. Alors, la prétention de Jésus à la divinité apparaît comme le pire des blasphèmes, passible de la peine de mort. PASSIBLE DE LA PEINE DE MORT Alors que Jésus est à Jérusalem pour la fête annuelle de la Pâque, une partie des dignitaires religieux et des notables juifs se saisissent de l’occasion pour coordonner une action contre lui. Exploitant le plus grand nombre de griefs qu’ils

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