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12 JESUS DANS L ART ET LA LITTERATURE 2 L’«Écriture» ou les «Écritures» désignent pour les Juifs et dans la bouche même de Jésus « la Loi et les Prophètes », c’est-à-dire l’ensemble des livres des traditions juives réputés avoir été inspirés par Dieu. Rédigés par des humains, ces livres ont vocation à dévoiler que l’histoire a un sens : c’est la Révélation. Ce sens sera déterminé par l’Alliance entre le projet de Dieu et la liberté humaine. Quand les chrétiens ont ajouté les livres du Nouveau Testament à ce corpus appelé désormais Ancien Testament, ils ont constitué la Bible, volontiers appelée l’«Écriture sainte». 3 Pour les Juifs, la Torah, la Loi, n’est pas seulement le Décalogue (les dix commandements) mais l’ensemble des cinq premiers livres qui constitueront la Bible : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome. Ainsi la Torah réunit-elle non seulement des centaines de lois et commandements, mais encore des récits plus ou moins mythiques et plus ou moins historiques qui constituent l’histoire inspirée de l’Alliance entre Dieu et son peuple, Israël. 4 Nom que portait le « peuple élu » constitué des descendants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et ce jusque vers le VIe siècle avant notre ère. Alors on commencera à l’appeler « peuple juif ». commente les Écritures2. Ses talents futurs de prêcheur et sa profonde connaissance de la Torah3, des livres prophétiques et des écrits des sages peuvent laisser penser qu’il reçoit l’enseignement de scribes et de maîtres réputés, versés dans les débats subtils sur l’Écriture. Cependant, les récits évangéliques, rapportant les dires des témoins directs de son enfance, invitent plutôt à supposer que tel n’est pas le cas : « Où a-t-il appris tout cela ? D’où lui vient sa science ? » s’exclament-ils, étonnés (Mc 6,2). À TRENTE ANS, JÉSUS QUITTE SON ATELIER DE CHARPENTIER Parvenu à sa pleine maturité, vers l’âge de trente ans, Jésus quitte un temps la Galilée et l’atelier de charpentier qu’il a repris à son père pour se retirer au désert de Judée. Bien des ascètes l’y ont précédé, et certains y vivent au sein de communautés près des rives occidentales de la mer Morte. Plus au nord, au bord du Jourdain, Jésus retrouve un prêcheur réputé, son cousin Jean, dit le Baptiste, qui, reprenant les imprécations des grands prophètes d’Israël, annonce l’avènement prochain du règne de Dieu, dit « royaume des cieux ». Jean pratique un rite de baptême individuel inédit, administré comme un signe de purification des péchés à tout homme résolu à une conversion de vie radicale par la voie de la pénitence. Pour Jésus, l’expérience du désert ne s’arrête pas là. Dans l’esprit même de la « traversée du désert » accomplie par les Hébreux4 – ses ancêtres libérés de l’esclavage en Égypte sous la conduite de Moïse, dont l’errance dura quarante ans avant leur entrée en Terre promise –, il y séjourne pendant quarante jours, priant et jeûnant. Il y traverse aussi une série d’épreuves qui lui font endurer la somme des tentations humaines en un combat pathétique contre les forces du Mal globalement mobilisées contre lui sous le nom de Satan, de « diable » ou de « tentateur ». Entrevoyant la fin de son pouvoir sur l’humanité du fait qu’un homme éventât toutes ses séductions, le tentateur finit par se retirer afin de préparer le dernier combat, à mort celui-là, dont l’enjeu sera le pouvoir sur le monde. À l’issue de sa retraite au désert, Jésus retourne en Galilée. Se détachant définitivement de ses tâches professionnelles, il réunit quelques disciples et commence à parcourir la région, prêchant « l’évangile de Dieu » (euaggelion en grec, c’est-à-dire « bonne nouvelle »). Devant des auditoires qui bientôt croissent en proportion de sa réputation, il développe le thème majeur du royaume des cieux dont Jean le Baptiste, son précurseur, avait bien saisi la fonction cardinale. Jésus, lui, ne parle plus d’imminence mais de présence actuelle : « Le royaume des cieux est au milieu de vous », répète-t-il partout où il passe. « Heureux ceux qui ont un esprit de pauvre : le royaume des cieux est à eux. Heureux les doux : ils vont conquérir la terre. Heureux les malheureux : ils vont être consolés. Heureux les affamés de justice : ils vont être rassasiés. Heureux ceux qui pardonnent : ils vont être pardonnés. Heureux les cœurs purs : ils vont voir Dieu. Heureux les artisans de paix : ils vont être appelés fils de Dieu. » C’est par cette proclamation (cf. Mt 5,3-12), où tout est paradoxe mais où rien ne se contredit, que Jésus ouvre un discours programme à l’adresse d’une foule innombrable qui, de toutes parts, afflue à lui, ici sur une hauteur de Galilée. L’édification du royaume des cieux prônée par Jésus est tout intérieure. Pour changer le monde, elle doit d’abord avoir lieu au cœur de l’homme, sur les ruines de tout ce qui fait son malheur : soif de richesses, de pouvoir et de jouissance, avec leurs corollaires, vol, tromperie, injustice, 13 PROLOGUE violence, meurtre. « Malheureux homme que je suis ! Qui donc me délivrera de la loi du péché qui m’entraîne à la mort ? » (cf. Rm 7,24) crions-nous vers le ciel ! « Heureux êtes-vous ! » répond Jésus. Pour faire participer toute l’humanité à ce bonheur promis, il n’édicte pas des préceptes qu’il suffirait de suivre pour être en règle. Il vient changer les cœurs, pas la Loi. Jésus limite d’abord ses déplacements à un territoire que balisent trois bourgs : Nazareth, Naïm et Cana. Puis il se transporte vers l’est, gagnant les rives occidentales de la mer deGalilée, ou lac deGénésareth, et fait de Capharnaüm, tout au nord, la base d’où il rayonne sans répit. Le lac, dit « de Tibériade » après qu’Hérode Antipas a fait de la ville de Tibériade sa nouvelle capitale, l’attire volontiers. La traversée en barque en est facile, donnant accès aux contrées orientales gagnées à la culture et aux mœurs païennes, où Jésus ne répugne pas à s’aventurer. C’est dans les limites de ce triangle élargi, avec son déploiement vers le lac, que Jésus appelle à le suivre ceux que bientôt il choisit comme ses douze apôtres (apostolos, « envoyés », en grec) qu’il qualifiera aussi de diakonos, en français « serviteurs ». Ces hommes d’âges et d’origines sociales très divers seront pendant trois ans ses proches compagnons et ses collaborateurs attitrés, puis jusqu’à la fin de leur vie les missionnaires de l’Évangile et « les serviteurs des serviteurs de Dieu ». Au-delà des apôtres, un groupe important de disciples, hommes et femmes, le suit, assurant notamment son intendance. Progressivement, une fraternité véritable s’organise, qui s’apparente très tôt à un nouveau mouvement au sein du peuple juif, provoquant enthousiasme et admiration chez beaucoup, irritation et hostilité chez d’autres. LE COMPAGNON DES IVROGNES ET DES GOINFRES Entouré ou précédé de ses disciples, Jésus étend bientôt le champ de sa mission pour, pendant de longs mois, à partir de la Galilée, emprunter les grands axes routiers, d’est en ouest et inversement. Ces voies débouchent sur les ports méditerranéens, Tyr entre autres, tout au nord, où il séjourne. Elles mènent également, à l’est du Jourdain, aux cités grecques de Césarée de Philippe, de la Syrie, de la Décapole (réseau de dix villes) et d’ailleurs. La culture étrangère, gréco-romaine ou orientale, emprunte ellemême ces voies, sur lesquelles l’usage du grec est souvent requis. Jésus se déplace donc comme le font les commerçants, les hommes d’affaires et les colporteurs d’idées. Il va loin, jusqu’à trois cents kilomètres, dans toutes les directions. En tous lieux, son enseignement pénètre comme une puissante semence, et sa communauté, car communauté il y a vraiment, essaime. Les nombreux « signes » – souvent qualifiés de miraculeux – que Jésus accomplit nourrissent sa réputation de thaumaturge aux dons polyvalents. Aussi l’accueille-t-on volontiers comme l’un de ces « hommes divins », magiciens itinérants ou prophètes inspirés, figures qui ne sont pas étrangères aux populations méditerranéennes et orientales d’alors. Pour autant, les contemporains de Jésus, dès qu’ils sont confrontés à lui, directement en tant qu’auditeurs de sa parole et témoins de ses œuvres, perdent, semble-t-il, toute référence à des modèles connus ou annoncés. Car le Jésus qui se révèle ne laisse pas de surprendre : qui attendait un ascète mortifié découvre un bon vivant, dénoncé comme « compagnon des ivrognes et des goinfres » (Lc 7,33) ; qui attendait un « pur » découvre « un ami des publicains [collecteurs de l’impôt romain, très impopulaires] et des pécheurs » (Mt 11,19) ; qui attendait un interprète scrupuleux de la Loi mosaïque découvre un observant fidèle qui peut néanmoins se comporter en transgresseur scandaleux, allant jusqu’à enseigner que la Loi est faite pour l’homme et non l’homme pour la Loi (cf. Mc 2,27) ; qui attendait unmaître spirituel découvre un guide inspiré se refusant pourtant à toutemanipulation de ses disciples ; qui attendait un Messie royal appelé à régner et à bouter hors de la terre d’Israël l’envahisseur païen découvre un serviteur, « doux et humble » (Mt 11,29), rétif à toute prise de pouvoir sur les autres… Ses adversaires, qui se recrutent principalement parmi les autorités religieuses et les notables juifs, ont beau jeu de démontrer que cet homme ne peut être qu’un imposteur ou un possédé du démon. Mais le peuple continue à suivre Jésus en une foule chaque jour plus nombreuse. Car « Jamais homme n’a parlé comme cet homme » (Jn 7,46). Les quatre récits évangéliques s’accordent à dire qu’il émanait de Jésus un

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