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22 Cette œuvre grandiose et pathétique se donne à être contemplée comme une divine liturgie qui, selon l’âme orthodoxe d’Aïvazovski, est célébration des saints mystères. À qui se donne la peine d’y entrer, elle vient révéler ce qui sera le manifeste du courant symboliste dans l’art et la littérature : la dimension essentielle du visible est invisible, est l’Invisible. Artiste, « tu contemples ton âme», témoigne Baudelaire : en ces «gouffres amers », au-delà de l’écume de la haine surplombée par les nuages ténébreux du Mal, tu discernes en toi l’image du Créateur ; tu en reflètes la lumière et tu en dis à jamais le dessein bienveillant, selon les expressions du Beau, du Bien et du Vrai. Le Christ, l’Alpha et l’Oméga Vers 350 Fresque, 60 × 72 cm Rome, catacombes de Commodille Cette fresque paléochrétienne est une des toutes premières représentations de Jésus, la première « institutionnelle», vue de face et encadrée. Le message transmis par les première et dernière lettres de l’alphabet grec – alpha et oméga – annonce Jésus comme le commencement et l’accomplissement de l’histoire humaine. Saint Paul évoque en quoi Jésus est l’alpha de notre histoire : « Le Fils bien-aimé de Dieu le Père est l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute créature : en lui, tout fut créé, au ciel et sur la terre. Les êtres visibles et invisibles, tout est créé par lui et pour lui. Il est avant toute chose, et tout subsiste en lui » (Col 1,15-17). 23 D’abord, il y avait le langage JEAN GROSJEAN Dieu dit, car Dieu peut à la rigueur pétrir une matière, mais comment a-t-il fait exister cette matière ? Dieu peut ordonner un chaos, l’éclairer, mais la lumière, ou même l’ordre, aussi bien que le chaos, comment existent-ils ? Dieu aurait donc parlé. […] Si Dieu a parlé, si par exemple il a dit : Lumière, c’est parce que d’abord Dieu parle : D’abord il y avait le langage. […] Jean précise tout de suite que le langage était chez Dieu. Puisque le langage a son habitation chez Dieu, il ne préexiste pas à Dieu, mais seulement au monde. […] Ni le langage n’est donc antérieur à Dieu ni pourtant Dieu n’a jamais eu d’existence tacite. C’est la nature de Dieu d’être hanté par le langage. […] En effet si Jean ajoute que ce langage était Dieu c’est pour dire que ce langage était l’acte unique de Dieu et qu’il livrait tout Dieu. Il contenait l’excellence et l’intensité de sa source. Il était le même Dieu que Dieu, mais Dieu en tant que dit, en tant que livré. Dieu est donc quelqu’un qui parle mais sa parole est quelqu’un qui écoute. Sa parole lui est toute docile pour être tout entière tout ce qu’il dit. […] Quelqu’un qui parle est quelqu’un qui se risque à sortir de soi c’est-à-dire à exister. […] Dieu ne s’est jamais contenté d’être, il lui aurait été impensable de ne faire qu’être puisque d’abord il parlait, puisque d’abord il existait par le langage. Jean Grosjean (1912-2006), poète, écrivain et spécialiste de la Bible, fut une importante figure des lettres françaises dans la seconde moitié du XX e siècle. Dans L’Ironie christique (1991), il commente sa propre traduction de l’Évangile selon saint Jean, et sa rigueur textuelle n’enlève rien à sa liberté d’interprétation. Sous sa plume, le célèbre «Au commencement était le Verbe» devient : «D’abord, il y avait le langage». Cet extrait est une méditation sur le fait que Dieu parle depuis toujours, donc qu’il se communique. Jean Grosjean, L’Ironie christique. Commentaire de l’Évangile selon Jean, Paris, Gallimard, coll. «Blanche», 1991.

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