CHEMINS DE PRIÈRE
Direction : Romain Lizé Direction éditoriale : David Gabillet Édition : Claire Stacino Création et réalisation graphique : Gauthier Delauné Relecture : Le Champ rond Fabrication : Thierry Dubus, Juliette Darriere Photogravure : IGS © Yann Vagneux, pour les photographies de la couverture et des pages 6, 9, 13, 16, 18-19, 20, 25, 26, 30, 34, 38, 40-41, 44, 48, 51, 53, 54, 55, 61, 62, 64-65, 67, 68, 72, 78, 81, 86, 88, 90-91, 93. © Missions Étrangères de Paris, pour les photographies pages 10, 22, 29, 32-33, 43, 47, 56, 71, 75, 83, 84. © Shutterstock, pour les photographies pages 15, 37, 58, 77. © Magnificat S.A.S., 2022, pour l’ensemble de l’ouvrage. 57, rue Gaston Tessier, 75019 Paris. www.magnificat.fr Tous droits réservés pour tous pays. Première édition : mai 2022 Dépôt légal : mai 2022 ISBN: 9782917146996 MDS : MT46996 Remerciements de l’éditeur : Une large majorité des photographies de cet ouvrage provient de la collection particulière de l’auteur. Qu’il en soit ici remercié. Nous remercions aussi les Missions Étrangères de Paris de nous avoir ouvert leur fonds photographique, et plus particulièrement le père Antoine Meaudre, le père Will Conquer, le père Nicolas Lefébure, Louis Claveau et André Abbe.
CHEMINS DE PRIÈRE Yann Vagneux Méditations d’un prêtre des Missions Étrangères de Paris Paris • New York • Oxford • Madrid
4 - Chemins de prière
- 5 « Au-delà des livres, il y a la prière. Il y a le silence devant Dieu. Il y a Dieu qui nous appelle. » Jules Monchanin
6 - Chemins de prière ← À la Basilique de Bandel en Inde.
La vie au-dedans - 7 LA VIE AU-DEDANS La plus belle requête qui puisse être adressée à un prêtre, c’est de balbutier quelques mots sur le mystère de la prière. Rien ne saurait mieux solliciter la mission qu’il a reçue de l’Église et qui fait de lui un priant au milieu des priants, un serviteur de la prière des f idèles : « Ministère au service du mystère, révélation du Mystère. Révélation aux hommes de leur propre mystère personnel et aussi dumystère total, dumystère en soi », écrivait le moine bénédictinHenri Le Saux. Même indélébilement blessé par le passage de la lumière au fond de son cœur, le prêtre ainsi invité à parler sera pris de vertige, constatant qu’il est encore trop peu engagé dans la prière, qu’il n’a guère parcouru les espaces inf inis de l’amour divin et que tant d’autres découvertes sont encore à venir car « celui qui monte ne s’arrête jamais d’aller de commencement en commencement et les commencements des réalités supérieures n’ont jamais de f in… » (saint Grégoire de Nysse). Voilà pourquoi il préférera se taire plutôt que conf ier des paroles provisoires et inadaptées. Pourtant, comme tout chrétien, le prêtre sait que sa prière, aussi limitée soit-elle, est emportée par la prière de l’Église : la célébration quotidienne de l’eucharistie, le chant des psaumes, la rumination des Écritures sacrées, l’adoration silencieuse de la petite hostie… et toujours en présence de la foule immense des témoins de l’unique nécessaire. C’est dans la communion des saints qu’une prière chrétienne naîtra. Au départ, elle nécessitera de patients labours – un va-et-vient continuel dans l’espérance de fécondes germinations. Puis, se lèvera le jour où les profonds sillons tracés deviendront un horizon sans limites. S’accomplira alors la parole de l’Apôtre « priez sans cesse », comme une respiration incessante dont on ne s’aperçoit… Comment remercier la revue Magnificat de m’avoir convié à écrire douze méditations, aujourd’hui rassemblées dans cet opuscule ? Au mitan de ma vie, cette aventure fut un renouvellement intérieur. Puisse le lecteur reconnaître maintenant dans ces lignes quelque chose qui parle à son cœur, un« je-ne-sais-quoi »qui fera écho à sa propre expérience. Puissent-elles l’aider à découvrir son propre chemin de prière, épi singulier joint à la grande gerbe de louange que l’Église offre à son Seigneur Jésus, apprenant de Lui à adorer le Père dans l’Esprit et en vérité. Ces pages nous entraîneront aussi vers le peuple indien auquel j’ai été consacré et envoyé. Que soit ici largement partagée l’« émulation de sainteté » que je vis au quotidien avec les priants hindous, musulmans, jaïns… en cette Inde dont Jules Monchanin disait qu’elle « semble avoir reçu de la divine Providence une mission privilégiée » : témoigner de« la valeur unique de ce qui ne passe pas, l’éternel, le spirituel, la vie au-dedans ». Yann Vagneux, mep Katmandou, 22 juillet 2021 Fête de sainte Marie-Madeleine, elle qui a choisi la meilleure part
8 - Chemins de prière TOUT EST GRÂCE Une étoile au fond du cœur Assurément, l’homme prie bienplus qu’il n’en a conscience ! Bien sûr, il ne s’agit pas ici de prières formalisées en un temps et un lieu précis mais plutôt d’une ouverture de l’être à une réalité plus grande. « L’homme passe l’homme », disait Pascal.Mystérieuse fenêtre qui fait apparaître en nous une lumière plus brillante : une étoile au fond du cœur, un soleil au-delà des cieux. Accepter ce dépassement, c’est devenir ce pour quoi nous avons été créés. Le refuser, c’est risquer la suffocation et la mutilation de notre être. Souvent en Inde, je médite sur la beauté de l’homme qui prie. Vision des pèlerins se plongeant le matin dans le Gange et ressortant des flots les mains jointes face au soleil levant. Guirlandes de jasmin et lampes à huile déposées gratuitement aux pieds des statues des dieux. Il est une noblesse infinie dans l’être qui seplacedans le rayonnement de la lumière divine. Il devient simplement plus humain… Comment devenir conscient de cette ouverture intérieure à l’Absolu qui nous est aussi vitale que la respiration? Une tradition hindoue dit que cela advient au travers d’une joie débordante oud’une souffrance insoutenable, dans une vive émotion artistique ouun plaisir érotique intense. Lemystique chrétien Maurice Zundel évoquait ses « heures étoilées »en contemplant des toiles demaîtres ou en écoutant de la musique, face à la beauté des paysages ou dans la douceur de l’amitié… Autant d’expériences qui nous extraient de la torpeur du quotidien et nous tirent vers de nouveaux horizons. Ici, nous commençons à prier… Une porte dans le ciel Un moine du Moyen Âge, Guillaume de Saint-Thierry, nous a laissé des pages magnifiques sur l’irruptiondeDieudans nos vies. Comme nombre d’auteurs spirituels, il a recouru à l’image de la lumière. Du Livre de Job qu’il lisait dans sa traduction latine, il connaissait les deux versets : Il cache la lumière en ses mains ; puis il lui ordonne d’apparaître en haut ; et il annonce au bien-aimé que cette lumière est à lui et qu’il peut monter jusqu’à elle (Jb 36, 32-33). Dans une lettre écrite aux Chartreux, l’abbé de Saint-Thierry a comparé la soudaineté de ces « quelques reflets du visage de Dieu » au passage furtif d’unéclair dans le ciel ouau léger dévoilement « d’une lumière enclose dans les mains ». À tout instant, nous inspirons et nous expirons. Pourtant, nous sommes rarement attentifs au processus par lequel l’oxygène vivifie notre sang. Il faut étouffer pour comprendre combien la respiration est vitale à notre existence. Manaslu (8 163 m) au Népal. →
La vie au-dedans - 9
10 - Chemins de prière ← Une assemblée catholique chez les Karens en Thaïlande.
Tout est grâce - 11 Aussi brève soit-elle, cette saisie intérieure est le commencement d’une vie nouvelle, tendue vers le désir de recevoir en plénitude ce qui a été reçu en un instant par grâce. Une porte s’ouvre dans le ciel (Ap 4, 1) et, ajoutait Guillaume, cette vision soudaine « arrache [l’homme] à soi, l’emporte au sein du jour éternel, loin des bruits du monde et vers les joies du silence ». Telle est l’expérience inaugurale de la prière : un rayonnement, une « heure étoilée », un « je-ne-sais-quoi » qui change la vie. Ici, tout est mystérieusement donné de ce qui sera déployé par la suite. Cependant, il ne faut pas rester au lieu de la grâce initiale mais se mettre en route et monter patiemment vers la lumière. Ne jamais s’arrêter mais toujours repartir car s’arrêter, c’est mourir… Ne pas vouloir refermer sa main sur les dons du Seigneur pour s’en emparer mais, au contraire, garder les paumes ouvertes pour recevoir de nouveaux dons. La prière commence par une grâce, elle continue dans un cheminement à travers fidélités et infidélités, avancements et reculs. Qu’importent les hauts et les bas, seule la constance compte. Une quest ion demeure pourtant : « Pourquoi nous semble-t-il être si peu l’objet de la “dilectiondivine” qui nousmet en route vers les sommets ? » Sans doute à cause de notre brouhaha intérieur qui nous fait manquer le passage de la grâce comme onmanque un train… C’est seulement lorsque le silence emplit notre être que nous sommes présents à tout ce que la vie nous offre de joies et de douleurs, d’émotions et d’émerveillements. Demeurer alors simplement comme laVierge Marie qui gardait dans le silence de son cœur tous les événements de sa vie pour mieux percevoir leur sens profond et la signature de Dieu en eux.
12 - Chemins de prière « À qui se trouve être l’objet de la dilection divine, se montre, de temps à autre, quelque reflet du visage de Dieu, à la façon d’une lumière enclose dans les mains, qui tour à tour paraît et se cache au gré du porteur. Cet aperçu donné à l’âme comme en passant ou dans un éclair l’enflamme alors du désir de posséder en plénitude la lumière d’éternité et l’héritage de la parfaite vision de Dieu. Et pour lui donner de saisir ce qui lui manque, il n’est pas rare que la grâce vienne frapper comme en passant celui qui aime, l’arrache à soi, l’emporte au sein du jour éternel, loin des bruits du monde et vers les joies du silence » Guillaume de Saint-Thierry, Lettre aux Chartreux du Mont-Dieu.
Tout est grâce - 13 ← Priant du Gange à Bénarès en Inde.
14 - Chemins de prière ÊTRE UNE TERRE DE DÉSIR Par des sentiers toujours nouveaux LeCantique a toujours guidé le pèlerinage spirituel de l’Église. Il révèle que la prière est l’histoire d’amour unique de chacun avec le Seigneur. Secretummeummihi – Mon secret est à moi (Is 24, 16), dit la Bible latine. Parce qu’elle est infiniment personnelle, la prière s’engage sur des sentiers toujours nouveaux. Certes, le témoignage d’autres priants peut être utile et, plus encore, la prière objective de la communauté ecclésiale dans laquelle nous entrons comme membres insubstituables. Cependant, l’orant doit parcourir un chemin encore inexploré car il est sonpropre chemin. La prière est de l’ordre de l’artisanat, non de la production de masse ! En s’ouvrant à un plus grand que nous, nous advenons à nous-mêmes. Prier nous rend plus humain. « L’homme, disait l’abbé Monchanin, est un être de désir, de tension, toujours insatisfait. L’homme satisfait, sans inquiétudes et sans désir, ne s’est pas trouvé, mais perdu. » Il est déjà mort celui qui, par habitude, n’attend plus rien dumonde et des êtres. Au contraire, le désir nous rend à la vie véritable. Certes, nous éprouvons une foule de désirs contradictoires et nous ressemblons si souvent à un champ rempli d’ivraie et de bon grain. Une purification est nécessaire et plus encore l’élévation des saints désirs – les désirs purs, les désirs forts qui nous mènent à ne pas choisir quelques distractions passagères mais Dieu lui-même. À cette étape, le Seigneur prend l’initiative de nous entraîner dans les jeux de l’amour : J’ai ouvert à mon bien-aimé, mais tournant le dos, il avait disparu ! Sa fuite m’a fait rendre l’âme. Je l’ai cherché, mais ne l’ai point trouvé, je l’ai appelé, mais il n’a pas répondu ! (Ct 5, 6). Après le bonheur de la première rencontre, l’aimé se cache et son absence devient blessure. Pourtant l’épouse ne reste pas paralysée : elle se remet en route. Ainsi apprend-elle à aimer dans la douleur de la séparation. La multitude de ses désirs se purifie au creuset de la souffrance et elle s’unifie alors en un seul vœu : trouver de nouveau celui que son cœur aime. Dans le Cantique des cantiques, l’épouse déclare : « Je dors, mais mon cœur veille » (Ct 5, 2). Le paradoxe entre la passivité du sommeil et l’activité de la veille décrit très justement la prière. Une fois que la lumière intérieure a brillé, il faut sortir de sa torpeur. Cependant, une trop grande hâte à s’emparer de ce qui vient d’être donné pourrait nuire au cheminement de l’orant. La prière est avant tout une disponibilité – une paisible mise à la disposition des vouloirs de l’Aimé. Petite fille priant avec la Bible en Thaïlande. →
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16 - Chemins de prière ↑ Sur les Ghats à Bénarès en Inde.
Être une terre de désir - 17 Laisser croître le désir Origène, l’un des grands penseurs chrétiens, a commenté les versets du Cantique où « l’épouse cherche du regard l’époux qui, après s’être montré, a disparu ». Sans doute le théologien a-t-il laissé entrevoir ici sa propre prière, bien que personne ne puisse totalement révéler sa relation intime avec Dieu. Comme le bien-aimé, le Seigneur apparaît et disparaît et il accroît en l’orant le désir de contempler encore sa lumière : « De nouveau, je me prends à désirer sa venue et lorsqu’il m’est apparu, que je le tiens de mes mains, voici qu’une fois de plus il m’échappe et je me mets encore à le rechercher. » Progressivement, le désir de Dieu transforme l’être et le dilate pour qu’il soit le réceptacle d’un don de plus en plus grand lors d’une nouvelle rencontre. Saint Augustin, en se demandant pourquoi saint Paul nous exhorte à prier continuellement, écrivait : « Cela pourrait nous étonner, mais nous devons comprendre que Dieu notre Seigneur veut que notre désir s’excite par la (Double page suivante.) Rizière à Kathmandu au Népal. → prière, afin que nous soyons capables d’accueillir ce qu’il s’apprête à nous donner. Car cela est très grand, tandis que nous sommes petits et de pauvre capacité ! C’est pourquoi on nous dit : Ouvrez tout grand votre cœur ». « Je dors, mais mon cœur veille » : telle est notre prière personnelle, tel est notre secret – un travail de patients labours dans lesquels nous devenons une terre de désir. À une ermite indienne, un moine donnait ce conseil : « Votre prière doit être un désir ardent du Seigneur. Cela est le véritable amour ici-bas. Et c’est dans cet état de prière que vous devez chercher à demeurer, malgré toutes les distractions qui vous assaillent et l’aridité continue. Attendre et désirer – voilà ce que signifie prier. »
18 - Chemins de prière
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Introduction : la vie au-dedans.....................................................................................................................................................................................................................7 Tout est grâce................................................................................................................................................................................................................................................................................................8 Être une terre de désir. .....................................................................................................................................................................................................................................................14 « Abba, père ! » : la prière de Jésus................................................................................................................................................................................................ 23 Habiter les Écritures............................................................................................................................................................................................................................................................28 Le canon de toute prière............................................................................................................................................................................................................................................36 Le silence pauvre de l’hostie............................................................................................................................................................................................................................45 La prière des visages. ...........................................................................................................................................................................................................................................................50 Une prière pleinement catholique................................................................................................................................................................................................. 59 Une émulation de sainteté.................................................................................................................................................................................................................................66 Quand l’amour s’empare de notre être................................................................................................................................................................................73 Simplicité de l’enfance..................................................................................................................................................................................................................................................80 Adsum........................................................................................................................................................................................................................................................................................................................ 87 TABLE DES MATIÈRES
N°d’édition : MGN22016 Achevé d’imprimer en avril 2022 par GPS en Slovénie.
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