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CD INCLUS - ROMAIN LIZÉ - LES SEPT DERNIÈRES PAROLES DU CHRIST EN CROIX Méditations du cardinal Charles Journet Musique de Joseph Haydn

LES SEPT DERNIÈRES PAROLES DU CHRIST EN CROIX - ROMAIN LIZÉ - Méditations du cardinal Charles Journet Musique de Joseph Haydn Paris • New York • Oxford • Madrid Préface de Fabrice Hadjadj

NOUS NE SOMMES PAS AU PIED DE LA CROIX, mais dans un fauteuil. Nous n’écoutons pas les gémissements des suppliciés, mais de la musique. Nous ne voyons pas des personnes défigurées par la souffrance, mais des tableaux où le peintre nous montre son talent. Il convient d’emblée de s’interroger sur cet écart qui change la grande horreur en petit bonheur, et qui s’appelle « dévotion chrétienne ». Où sommes-nous donc et que faisons-nous ici ? Ne procéderions-nous pas à un embourgeoisement de l’Évangile ? Ne serions-nous pas en train de réduire le cri de l’Éternel à un pieux divertissement ? Kierkegaard, pour ne citer que lui, n’a cessé de dénoncer ce péril. Pour tenter de l’éviter, il prononce une sévère condamnation à l’encontre de l’« art chrétien » : « Ce calme m’est inconcevable par lequel un assassin peut s’asseoir et aiguiser le couteau avec lequel il va tuer un autre homme. Mais je n’arrive pas non plus à concevoir ce calme de l’artiste qui peut s’asseoir et manier le pinceau pour peindre le Crucifié… » L’artiste peut dès lors être comparé à Judas, qui présente Jésus à la garde des grands prêtres comme une chose bonne à saisir. Certes, par son œuvre il ne veut pas tant faire de nous des accusateurs du Christ, il ne veut faire que des « admirateurs ». Mais les admirateurs ne sont pas des « imitateurs ». Or, conclut Kierkegaard, admirer sans imiter est pire que blasphémer, parce que c’est croire qu’on est chrétien, alors qu’on ne l’est pas. Cette radicalité du philosophe danois exaltait ma jeunesse révolutionnaire. Aujourd’hui, sous son apparence de force, j’en vois la faiblesse. D’une part, Kierkegaard aussi est assis pour écrire, et non pendu à un gibet. Sa condamnation, si elle était valable, devrait s’étendre à toute pensée, à toute théologie, et aboutirait à une foi sans œuvres, puisque tout œuvre suppose qu’on a les mains déclouées. 1, 3, 7 PAROLES, JUSQU’À LA NÔTRE 4

D’autre part, la radicalité – les racines – ne s’enfonce dans l’obscurité de la terre qu’afin que nous portions du fruit dans la lumière du jour. La croix de Jésus est l’Arbre de Vie. Elle est pour notre béatitude, non pour un quelconque dolorisme. La légèreté d’un Mozart ou d’un Haydn, cette légèreté qui jaillit soudain du ré mineur et qu’on peut nommer « grâce », n’est pas une fuite, mais un fruit de la croix. Elle correspond à une anticipation du ciel où nous chanterons sans fin les miséricordes du Seigneur (Misericordias Domini in aeternum cantabo). Bien entendu, lire la Bible comme on lit le journal, c’est ne pas la lire du tout. Si sa parole est celle de Dieu, c’est-à-dire celle de mon Créateur, Sauveur et Seigneur, je ne peux pas me placer devant elle comme quelqu’un qui assiste à un spectacle ou suit un reportage. Elle m’appelle. Elle me pénètre comme un glaive, surtout quand j’en arrive à la fine pointe, la plus déchirante : la Passion du Verbe fait chair. Je ne la lis que dans la mesure où je la laisse lire dans mon âme. Je ne la reçois que dans la mesure où elle m’éprouve. Entendant Les Sept Dernières Paroles du Christ en croix, je peux passer un moment agréable, émouvant, mais qui me laisse foncièrement indemne, tel un complément moral à mon confort physique. Je suis dans un fauteuil, j’écoute de la musique, je vois des tableaux. Mais la vérité, plus mystique et plus concrète, c’est que je suis au pied de la croix. Les gémissements des suppliciés sont à ma porte, et combien de personnes sont actuellement défigurées par la souffrance et le péché ! Si je ne me rends pas compte de cela, j’aurais beau admirer et me sentir chrétien, je suis pareil aux passants qui l’injurient en hochant la tête (Mc 15, 29). C’est en cela que Kierkegaard a raison. Les paroles du Seigneur n’attendent pas notre admiration ou notre compréhension, mais notre confession et notre conversion. Nous sommes des protagonistes de cette histoire (Il s’est donné lui-même à cause de nos péchés – Ga 1, 4). Nous n’avons pas d’autres possibilités que de nous assimiler à l’un des personnages de la scène : le mauvais, ou le bon brigand (spécialement chez Luc). Ou bien les scribes qui se gaussent : Qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui ! ou bien l’un des hommes qui confesse avec le centurion : Vraiment celui-ci 5

était le Fils de Dieu ! (chez Matthieu et Marc). Ou bien l’un des soldats qui partagent ses vêtements et tirent au sort sa tunique, ou bien le disciple qui accueille Marie chez soi (chez Jean). Ces sept paroles solennellement articulées à l’heure de l’asphyxie, non pas en chaire à prêcher mais en chair transpercée, la tradition, incitée par les associations de ce chiffre parfait, les a rapportées chacune à un don de l’Esprit Saint et à une béatitude – pourquoi pas aussi à un jour de la Création ou à un sacrement ? Dans aucun Évangile, pourtant, on ne trouve ce compte. Selon Matthieu et Marc, il n’y a qu’une seule parole, transcrite en araméen : Eli, Eli, lama sabactani ? – Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? puis ce n’est plus qu’un grand cri. Selon Luc, il y en a trois : Pardonne-leur… Aujourd’hui tu seras avec moi en Paradis et Père, en tes mains, je remets mon esprit. Selon Jean, trois aussi, mais toutes différentes : Voici ta mère… J’ai soif et C’est accompli. Et selon toi ? Les sept paroles relèvent d’une collection et d’une composition due à la piété des fidèles. Elles manifestent que la fidélité n’est pas captive, mais inventive. Elles nous apprennent à lire entre les textes, à nous découvrir entre les quatre Bonnes Nouvelles, dont les apparentes discordances sont les failles par où chacun peut entendre l’appel qui lui est destiné, et déployer sa vie comme une continuation de l’Évangile. Bien lire ici signifie fermer le livre, reconnaître sa misère à la lumière de la miséricorde, et faire miséricorde à son tour, se tourner vers le visage du pauvre, aimer son prochain, c’est-à-dire précisément ce cousin, ce collègue, ce clochard que j’ai voulu fuir en ouvrant ces pages pleines de belles images et de bonne musique. Romain Lizé m’avait demandé, autrefois, d’écrire un petit ouvrage sur ces sept paroles du Christ en croix. Je m’étais alors dérobé. Je m’en sentais incapable, parce qu’il y avait déjà le merveilleux livre de Charles Journet. 6

Le disciple ne pouvait pas dépasser le maître (il me faut le rappeler : je suis, d’une manière très matérielle, par les circonstances de ma conversion et tant d’intermédiaires qui l’ont bien connu, un fils spirituel de l’abbé Journet – c’est même à cause de lui que je vis et enseigne aujourd’hui à Fribourg, en Suisse, où il a vécu et enseigné). Mon texte, dans ses plus vives lueurs, n’aurait brillé que dans son ombre. Ce livre fait partie des quelques ouvrages qui ont imprimé en moi leur marque indélébile. Je suis très honoré de pouvoir en introduire ici quelques extraits. Je ne connais rien de mieux que sa simplicité et sa profondeur – une théologie vivante, qui à la fois marche dans la vérité et défaille d’amour. En exergue de ses propres lignes, Journet lui-même disait que le plus important était d’« entrer dans ce mystère par un peu de contemplation silencieuse », et il ajoutait : « Tout ce qu’on peut en écrire pour le faire aimer, hors ces sept divines paroles, on voudrait, après coup, le brûler. » Mais, à coup sûr, ces écrits que l’humilité de leur auteur voudrait qu’on brûle, ce sont eux qui produisent en nous des clartés capables de nous tenir en éveil au milieu de la nuit. Fabrice Hadjadj 7

TANDIS QUE LES DERNIÈRES PAROLES DU CHRIST sont dispersées dans les Évangiles, leur traditionnelle méditation nous permet de les recevoir d’un seul tenant et de vivre la passion du Christ d’une manière plus vive, plus immédiate, comme si nous lisions une sorte d’Évangile primitif qui contiendrait tout. Comme si – in fine – nous étions au pied de la croix. Voici les derniers mots de l’homme Jésus, du fils de l’Homme, du Fils de Dieu qui donne sa vie. La mort par crucifixion est une mort par étouffement. L’être humain ne peut respirer longtemps dans une telle position. Parler demandait au Christ – déjà éprouvé par les coups qui avaient meurtri tous ses muscles, la flagellation qui avait mis sa peau à vif, la croix qui avait blessé ses épaules, la couronne d’épines qui lacérait son front et les clous qui perçaient sa chair – un effort monumental, monstrueux. Celui-ci consistait, pour lui, à pousser sur ses jambes pour prendre assez d’air afin d’émettre un son. Crucifié pendant des heures, il n’eut la force de prononcer que ces sept petites paroles, et un grand cri… Quel scandale pour le Verbe de Dieu ! Pour nous aider à entrer dans le mystère qu’il nous est donné de contempler, cet ouvrage déploie une à une chaque parole, dans un écrin formé par la musique d'Haydn et de magnifiques œuvres d’art. Tout d’abord, la parole elle-même et l’Évangile qui la rapporte, bien sûr. Puis, une méditation du cardinal Journet, tirée des Sept Paroles du Christ en croix, vient soutenir notre contemplation par sa force et sa beauté. Ensuite, un long passage du Nouveau Testament met en perspective la parole prononcée avec la vie du Christ ou avec la manière dont les premières communautés chrétiennes ont vécu la Passion et la mort du Sauveur. Enfin, la prière d'un psaume fait revivre en nous l’attente messianique d’Israël et de la Création tout entière. L’œuvre de Salut qui s’accomplit sous nos yeux était annoncée dès la chute (Gn 5), préfigurée dans toute l’histoire de l’humanité, attendue par Israël. L’Alliance nouvelle et éternelle se AVANT-PROPOS 9

conclut là. Ces psaumes, qui anticipent de manière prophétique les dernières paroles du Christ ou le déroulé de sa Passion, nous donnent ainsi d'achever notre contemplation par les mots mêmes avec lesquels Jésus priait. Sans doute cette méditation, notamment par la musique et les œuvres d’art ( je pense ici au Christ de Grünewald auquel le cardinal Journet attachait une grande importance), contient-elle une certaine violence qui vient nous déloger de notre confort. Mais est-il possible de méditer sur la Passion sans souffrir intérieurement, ne serait-ce qu’un peu ? C’est bien peu de chose comparé à ce que nous contemplons. Dès les premières mesures des Sept dernières paroles du Christ en croix d’Haydn, il est impossible de ne pas être saisi par le drame qui se joue. Drame cosmique dont la force universelle de la musique souligne la puissance. C’est ce qui m’est arrivé à Rome un 14 septembre, jour où l’Église fête la Croix glorieuse. À l’invitation de Peter Bahou, un ami palestinien catholique vivant aux États-Unis, j’écoutais les archets du Philharmonique de Vienne résonner sous les voûtes de Saint-Paulhors-les-Murs. Au cours de cette heure de musique priante, ce livre est né. J’aurais aimé entendre cette musique, comme vous allez le faire maintenant, accompagnée de magnifiques œuvres d’art et portée par une profonde méditation. Voilà l’expérience spirituelle que vous propose cet ouvrage. Bonne méditation ! Romain Lizé 10

COMMENT UTILISER CE LIVRE ? Cet ouvrage vous propose une méditation d'une heure environ. Chaque chapitre a été rédigé pour vous permettre de le parcourir tout en écoutant la musique qui lui correspond. Si la piste de musique se termine avant que vous n’ayez fini le chapitre associé, je vous invite à achever votre lecture en silence, faisant ainsi écho aux grands temps de silence qui ont ponctué l ’agonie du Sauveur. Vous pouvez également décider d’écouter la musique avant ou après la lecture, en fermant les yeux, afin de méditer chaque chapitre au rythme qui vous convient ; soit au début, après avoir lu la parole en question et le texte de l ’Évangile qui la rapporte, pour entrer dans le mystère de chacune – soit à la fin, pour laisser chaque méditation résonner en vous et porter votre prière. Bien évidemment, vous pouvez lire et relire les textes proposés, contempler les œuvres d’art et écouter la musique d’Haydn comme vous le souhaitez, mais la lecture suivie de l ’ouvrage ici présent vous donnera de parcourir, comme dans toute oraison, pourvu qu’on lui donne le temps de se déployer, un chemin intérieur au pied du Golgotha, comme nous avons sans doute trop peu l ’habitude de le faire. 11

LORSQU’IL COMPOSE Les Sept dernières paroles du Christ en Croix, Joseph Haydn (1732-1809) est au sommet de sa carrière. Commandées en 1786 par les chanoines de la cathédrale de Cadix, ces sonates avaient pour mission d’accompagner les temps de silence intérieur qui ponctuaient les méditations sur les sept paroles du Christ données par l’évêque du lieu pendant la Semaine sainte. Haydn l'écrit lui-même à son éditeur : « Les murs, fenêtres et piliers de l’église étaient tendus de noir ; seule une grande lampe suspendue au centre rompait cette sainte obscurité. À midi, on fermait toutes les portes, et alors commençait la musique. Après un prélude approprié, l’évêque montait en chaire, prononçait une des sept Paroles et la commentait. Après quoi, il descendait de la chaire et se prosternait devant l’autel. Cet intervalle de temps était rempli par la musique. » Cette tradition d’une longue méditation sur les dernières paroles du Christ, bien que celle-ci ne soit pas un office liturgique en soi, existe toujours dans de nombreuses cathédrales, en Espagne ou aux États-Unis par exemple, le Vendredi saint à midi, avant l’office de la Passion qui a lieu vers trois heures. Après le succès de la version pour orchestre donnée à Cadix, qui assura la diffusion de l’œuvre dans toute l’Europe, Haydn composa, dès l’année suivante, avec l’intention déclarée de mettre cette méditation à la portée de tous, une version pour quatuor à cordes dont est tirée la version pour orchestre à cordes jointe à cet ouvrage. Le compositeur écrivit par la suite une adaptation pour piano (dont le répertoire était en plein développement avec l’invention récente du piano-forte) et enfin une version pour chœur et orchestre. L’interprétation qu’en fait ici l’orchestre Paul Kuentz est l’une des plus spirituelles et des plus profondes. On voit là sans doute l’influence du père Jean-Pierre Nortel († 2015), aumônier des L’ŒUVRE MUSICALE DE JOSEPH HAYDN 12

artistes du spectacle qui dirigea de nombreuses années l’espace Georges-Bernanos à Paris, dont Paul Kuentz était proche. La grande sensibilité musicale d’Haydn y est merveilleusement déployée. Cette place laissée à l’émotion est caractéristique du classicisme viennois qui naît alors avec Haydn et Mozart, puis Beethoven, dont l’œuvre gigantesque sera la charnière entre le classicisme et le romantisme. Le classicisme se détache de la musique baroque par un phrasé plus subtil et plus raffiné. Mozart lui-même ne disait-il pas d’Haydn : « Quel autre sait de pareille façon faire passer des larmes au rire, de la joie au profond bouleversement ? » Dès l’introductionenrémineur, Haydnparvient, ensepassant des mots, à offrir à chaque auditeur de contempler les événements du Calvaire. Par des mouvements alternant calme et tension dramatique, l’écriture musicale du maître autrichien donne à entendre l’intensité des paroles prononcées par le Christ. La conclusion, étonnament plus courte et rapide, traduit la violence du tremblement de terre qui suit la mort du Christ. Démarré en do mineur, Il terremoto se conclut en tonalité majeure, annonçant ainsi qu’il « n’était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir. » 13

Ô Lumière véritable, toi qui jaillis du sein du Père, viens Seigneur, viens nous sauver. AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE VERBE. Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l ’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. Jn 1, 1 ; 9-11 ; 14 INTRODUCT ION ÉCOUTONS LA MUSIQUE DE JOSEPH HAYDN 1 5 mn 50 INTRODUCTION 15

Au commencement était le Verbe 1… Verbe signifie parole. Cette parole peut être écoutée. Elle est descendue jusqu’à nous. Elle s’est faite chair, elle s’est livrée à nous… Avec le dernier cri de Jésus, quelque chose s’achève pour toujours. Sa vie temporelle ne recommencera plus jamais. Ce mystère d’irréversibilité fascinait Péguy : « Heureux ceux qui l’ont vu passer dans son pays ; heureux ceux qui l’ont vu marcher sur cette terre ; ceux qui l’ont vu marcher sur le lac temporel ; heureux ceux qui l’ont vu ressusciter Lazare. Quand on pense, mon Dieu, quand on pense que cela n’est arrivé qu’une fois… Heureuse Madeleine, heureuse Véronique ; heureuse sainte Madeleine, heureuse sainte Véronique, vous n’êtes pas des saintes comme les autres. Tous les saints, toutes les saintes contemplent Jésus assis à la droite du Père. Et il y a dans le ciel son corps d’homme, son corps humain glorieux, puisqu’il y est monté, tel que, le jour de l’Ascension. Mais vous autres, vous seuls, vous avez vu ce corps humain dans notre commune humanité, marchant et assis sur la terre commune. MÉDITONS AVEC LE CARDINAL JOURNET Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Amen. 1 Jn 1, 1. 16 INTRODUCTION

Vous seul l’avez vu deux fois, et non pas une seulement ; non pas une fois seulement, comme tous les autres, dans votre éternité ; non pas la deuxième fois, qui dure éternellement ; mais une première fois, une fois antérieure, une fois terrestre ; et c’est cela qui ne fut donné qu’une fois, c’est cela qui n’a pas été donné à tout le monde 2. » Tout cela est fini pour toujours. La vie temporelle du Sauveur ne recommencera plus. Mais le souvenir en sera gardé dans les cieux. Et encore, – Péguy ne l’a pas dit et il faut l’ajouter –, Dieu nous prêtera par-dessus, pour regarder la suite du temps, son regard qui est au-dessus du temps, où rien ne s’oublie, où toute l’histoire du temps reste présente dans sa fraîcheur native. Dans la vie de Jésus, il y a eu d’indicibles souffrances, mais aussi des joies divines et inénarrables. Quand il était petit enfant, il avait la tendresse de sa mère. Plus tard, quand il a regardé le monde, comme il a su découvrir les choses : les fleurs des champs, les grains de sénevé, les figuiers qui bourgeonnent à l’approche de l’été, les moissons qui blanchissent, le ciel rouge qui annonce le beau temps ou l’orage. Il a regardé les travaux des hommes, les pêcheurs, le semeur qui sort pour semer, la femme qui tourne la meule pour moudre le grain ou qui fouille sa maison pour retrouver la drachme. Il voyait tout avec une profondeur d’humanité, une pureté, un ravissement, une joie qui lui faisaient retrouver l’idée créatrice cachée au sein des êtres, et au prix de laquelle la vision des peintres et des poètes est peu de chose. Il a regardé dans les yeux et dans le cœur des petits enfants. Son âme n’était pas contractée, mais dilatée. Et pourtant 2 Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, Paris, Gallimard, 1941, p. 49 et 54. 17

il n’a jamais perdu de vue, pendant les trente-trois ans de sa vie, qu’il mourrait cloué sur une croix sanglante. La pensée de la gloire de son Père et de la rédemption du monde suffisait, en chaque circonstance, à faire tressaillir son âme. La croix, depuis qu’elle a été levée sur l’histoire, est devenue l’unique salut non seulement des personnes individuelles, qui sont immortelles, mais encore des civilisations, qui sont périssables. Elle est apparue, en Occident, dans un monde décadent et voué à la catastrophe. Au prix de la lumière qu’elle apportait, les renoncements qu’elle exigeait ne parurent pas trop lourds : quand la terre n’a plus rien à donner, le ciel, révélant ses splendeurs, devient infiniment désirable. Que s’est-il produit ? À mesure que les peuples se rassemblaient autour de la croix et suspendaient leur espérance au royaume qui n’est pas de ce monde, voici que, par miracle, le monde s’éclairait, la vie redevenait humaine, une culture chrétienne, une civilisation chrétienne s’organisait. La douceur de vivre réapparaissait. Et avec elle bientôt l’oubli du ciel. Le renoncement de la croix recommença à peser. Il parut intolérable. L’homme entreprit de conquérir la terre et de faire à lui seul son bonheur. Il devint dur et sauvage. 18 INTRODUCTION

3 2 Co 4, 17-18. L’humanité n’a-t-elle donc pas assez fait l’expérience du malheur ? Faudra-t-il qu’elle soit encore submergée dans le sang et la folie ? Faudra-t-il qu’elle touche le fond du désespoir pour lever de nouveau les yeux sur la croix ? Alors les renoncements chrétiens ne lui paraîtront plus injustifiés. Elle cherchera avant tout le royaume de Dieu. Et peut-être, par surcroît, fleurira quelque nouvel ordre temporel chrétien, quelque nouvelle chrétienté. La croix est plus un mystère de lumière qu’un mystère de souffrance. La souffrance n’est pas foncière, elle passera. La lumière est cachée dessous : par moments, elle traverse le voile de la douleur et irradie au dehors. La lumière est foncière, elle durera toujours. Mais, en passant par la souffrance, elle se sera revêtue d’une étrange beauté, assumant en sa splendeur ce qu’il y a de dignité et de noblesse dans l’aventure de notre terre et nos destinées humaines. « Le fardeau léger de notre affection du moment présent produit pour nous, d’une manière et pour une fin qui dépasse toutes mesures, un poids éternel de gloire 3. » 19

PAROLE DE DIEU LETTRE DE SAINT PAUL AUX ÉPHÉSIENS 5, 25-27 Le Christ a aimé l’Église, il s’est livré lui-même pour elle, afin de la rendre sainte en la purifiant par le bain de l’eau baptismale, accompagné d’une parole ; il voulait se la présenter à lui-même, cette Église, resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel ; il la voulait sainte et immaculée. La Montée au calvaire Tintoretto (1518-1594) 22 INTRODUCTION

PRIONS AVEC LES PSAUMES PSAUME 39 (40) Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu as ouvert mes oreilles ; tu ne demandais ni holocauste ni victime, alors j’ai dit : « Voici, je viens. Dans le livre, est écrit pour moi ce que tu veux que je fasse. Mon Dieu, voilà ce que j’aime : ta loi me tient aux entrailles. » J’annonce la justice dans la grande assemblée ; vois, je ne retiens pas mes lèvres, Seigneur, tu le sais. Je n’ai pas enfoui ta justice au fond de mon cœur, je n’ai pas caché ta fidélité, ton salut ; j’ai dit ton amour et ta vérité à la grande assemblée. 24 INTRODUCTION

Quel insondable mystère, Seigneur, t’a fait quitter le sein du Père ? Quelle est la dignité de notre humanité pour laquelle tu vas donner ta vie ? Quelle est cette loi que tu n’as pas craint de proclamer à temps et à contretemps, jusqu’à mourir ? Pourquoi mon péché te clouerait-il au bois de la croix ? 25

24,90€ France TTC www.magnificat.fr « Ce livre est né au cours d’une heure de musique priante. J’aurais aimé entendre cette musique, comme vous allez le faire maintenant, accompagnée de magnifiques œuvres d’art et portée par une profonde méditation. Voilà l’expérience spirituelle que vous propose cet ouvrage. » Romain Lizé UNE EXPÉRIENCE INOUBLIABLE. Pendant 1 heure, veillez et priez auprès de Celui qui nous a aimés jusqu’au bout, soyez soutenus par un superbe trésor littéraire, musical et artistique. Avec cet ouvrage : Lisez l’Écriture, priez et méditez avec la tradition de l’Église les sept dernières paroles du Christ. Redécouvrez l’œuvre littéraire et spirituelle du cardinal Charles Journet, Les Sept Paroles du Christ en croix, pour entrer dans la méditation des dernières paroles de Jésus. Écoutez le chef-d’œuvre musical de Joseph Haydn pour vivre un véritable cœur-à-cœur avec le Christ. À travers les plus grandes œuvres de l’art sacré, contemplez le Christ pour vous placer au pied de la croix avec Marie. 1 HEURE, POUR UNE EXPÉRIENCE SPIRITUELLE ET CONTEMPLATIVE AVEC LE CHRIST. Romain Lizé est Directeur adjoint de la Rédaction de la revue mensuelle Magnificat. En partenariat avec : « Les sept paroles relèvent d’une collection et d’une composition due à la piété des fidèles. Elles manifestent que la fidélité n’est pas captive, mais inventive. Elles nous apprennent à lire entre les textes, à nous découvrir entre les quatre Bonnes Nouvelles. » Fabrice Hadjadj

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